Le Point

Le spécialist­e de l’antiterror­isme, devenu juge ordinaire à Lille, publie un premier roman étonnant. Rencontre.

- PAR CLÉMENT PÉTREAULT

Sautillant sur la pelouse humide pendant la séance photo, le magistrat joue avec sa cigarette électroniq­ue et fredonne une chanson qui commence ainsi : « Quand t’es dans le désert, depuis trop longtemps… » Inutile d’évoquer Freud pour comprendre que la traversée du désert de Marc Trévidic passe par Lille. Le juge le plus médiatique de France a quitté la prestigieu­se section antiterror­iste du palais de justice de Paris, en septembre 2015, pour rejoindre le tribunal de la capitale des Flandres et sa « justice du quotidien ». La loi est dure, mais c’est la loi : au bout de dix ans d’exercice, les juges spécialisé­s doivent changer d’affectatio­n, même s’ils ont mis des années à devenir incollable­s dans leur domaine. Ce 28 décembre, devant le tribunal de Lille, imposante bâtisse de béton au futurisme éculé, Trévidic est morose. Il ne voudrait pas donner l’impression que son retour dans le monde ordinaire est une punition, alors il n’oublie pas de placer, quand il le peut, un mot sympathiqu­e sur ses collègues de Lille, qui « abattent un travail difficile ». Cependant, à en juger par son entrain à changer de sujet, ce nouveau poste est un purgatoire. Alors, pour oublier, Marc Trévidic écrit. Cela fait des années qu’il s’abandonne à ses passions littéraire­s le soir, le week-end et pendant les vacances. Ses trois premiers ouvrages ont rencontré un certain succès auprès du grand public, visiblemen­t friand de secrets sur les arcanes de l’antiterror­isme. Plus de 30 000 exemplaire­s pour son dernier « Qui a peur du petit méchant juge ? » (JC Lattès). « Ce n’est pas mal du tout pour un livre de magistrat ! » se réjouit son éditrice, Karina Hocine. Son premier roman, « Ahlam », est sorti hier, 6 janvier, avec trois mois d’avance sur le planning initial. L’action se déroule en Tunisie sur fond de révolution de Jasmin. Bien entendu, les djihadiste­s sont de la partie : « J’ai voulu mettre en scène la lutte entre obscuranti­sme et civilisati­on », explique le juge. « Le titre est un prénom, Ahlam, qui sonne entre halal et haram, licite et interdit », décrypte-t-il. Voilà bien longtemps qu’il a lu le Coran et s’est fait son idée sur l’interpréta­tion des hadiths qu’on voit fleurir sur le Net. Ces paroles attribuées au Prophète servent de « preuves » à ceux qui veulent voiler les femmes ou interdire la musique. « Quand je lis sur Internet que tel hadith expliquera­it que la musique est interdite parce qu’un jour le prophète se serait bouché les oreilles en entendant un joueur de flûte, je réponds qu’il y a erreur d’interpréta­tion. Ce n’est pas que la musique est illicite, c’est simplement que le joueur de flûte jouait mal », argumente ce collection­neur d’harmonicas et de guitares électrique­s.

Pour donner corps à son récit, il a pioché dans le souvenir persistant de ses dossiers de l’antiterror­isme. Il a aussi appris à se servir de pastels pour entrer dans la peau d’un personnage d’artiste qu’il voulait « consistant ». Résultat : un peintre internatio­nal en

 ??  ?? Exutoire. Marc Trévidic à Lille, le 28 décembre. Pendant la séance photo, il fredonne une chanson qui commence ainsi : « Quand t’es dans le désert, depuis trop longtemps… »
Exutoire. Marc Trévidic à Lille, le 28 décembre. Pendant la séance photo, il fredonne une chanson qui commence ainsi : « Quand t’es dans le désert, depuis trop longtemps… »

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