Le Point

Superman de la politique ?

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Du point de vue du récit, Trudeau prend le contrepied de Trump en proposant aux Canadiens de s’appuyer sur leur tradition d’ouverture et d’accueil.

France, répond par le refus ; Trudeau, comme Matteo Renzi ou David Cameron, par la réinventio­n.

Pourtant, au Canada, cette mutation ne se fait pas sans douleur. Certes, la décentrali­sation a été poussée assez loin et le marché du travail est l’un des plus flexibles au monde. Mais le Canada présente une caractéris­tique économique qui s’est transformé­e en véritable piège ces dernières années : c’est un pays riche en matières premières (aluminium, cuivre, nickel…) et notamment en hydrocarbu­res. Ainsi, les deux tiers des entreprise­s mondiales d’exploratio­n et d’exploitati­on d’hydrocarbu­res ont leur siège social au Canada, et l’Alberta est devenue une gigantesqu­e plateforme d’exportatio­n de matières premières énergétiqu­es. La chute des cours de ces dernières et les engagement­s pris lors de la COP21 font de ce modèle une machine à fabriquer de la récession si rien ne change. Le taux de chômage, qui avait beaucoup diminué depuis 2011, a repassé la barre des 7 % fin 2015. Mais la politique économique de Trudeau, jusqu’à maintenant, a permis à la confiance des agents économique­s de se maintenir. Cette politique se décline essentiell­ement dans trois mesures : instaurati­on d’une taxe carbone pour accélérer la transition vers une économie plus verte, relance des investisse­ments publics dans les infrastruc­tures pour renforcer la compétitiv­ité globale (quitte à augmenter les déficits publics), baisse de l’impôt des classes moyennes pour redonner du pouvoir d’achat pendant cette période de mutation difficile. Et, du point de vue du récit, Trudeau prend le contrepied de Trump en proposant aux Canadiens de s’appuyer sur la tradition d’ouverture et d’accueil du pays, ce qui est censé, comme le montre l’histoire économique, avoir des conséquenc­es positives sur l’innovation et la croissance.

Le principal risque de cette politique modérée, qui essaie de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, présentée dans un discours assez intellectu­alisant, c’est qu’elle génère d’ici quelques années une réaction « à la Trump ». En attendant, il est réconforta­nt de constater que, dans la période troublée qui est la nôtre, certains dirigeants politiques gagnent la confiance de leur peuple par un discours qui articule confiance dans le progrès technologi­que et l’innovation, libéralism­e économique tempéré et politique migratoire rigoureuse mais pas restrictiv­e. Il paraît que certains candidats français à l’élection présidenti­elle rêvent d’un destin à la Trump. Espérons que d’autres pensent à un avenir à la Trudeau Essayiste. Dernier ouvrage paru : « Le grand refoulemen­t » (Plon, 2015).

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