Le Point

L’autre fracture sociale

Un clivage vieux de plusieurs siècles structure encore la société française : celui qui oppose propriétai­res et locataires.

- Par Pierre-Antoine Delhommais

L ’immobilier

est l’un des sujets de conversati­on préférés des Français, surtout lorsqu’ils n’ont pas grand-chose à se dire. Ce qui donne souvent lieu, dans les dîners en ville, à d’interminab­les discussion­s sur le montant exorbitant des charges, la malhonnête­té avérée des syndics, l’évolution du prix du mètre carré dans les arrondisse­ments de Paris ou la comparaiso­n des taux de crédit à 20 ans. Au-delà de cette passion commune pour l’immobilier– qui se comprend aisément lorsqu’on sait que les Français y consacrent en moyenne 22 % de leurs revenus –, il est à noter que les points de vue qui s’expriment sur le sujet sont très étroitemen­t liés au statut de chacun : locataire ou propriétai­re. Quand, par exemple, les premiers s’inquiètent de la flambée des prix, les seconds, au contraire, s’en frottent les mains.

Aussi sûrement qu’entre gauche et droite, la France est aujourd’hui profondéme­nt divisée entre propriétai­res et locataires. Derrière l’Allemagne (47 %) et l’Autriche (42 %), la France est le troisième pays d’Europe qui compte le plus de locataires (37 %), bien plus que l’Italie (25 %), l’Espagne (21 %), la Pologne (17 %), sans parler de la Roumanie (3 %).

Dans un essai qu’elle vient de publier, « Locataires et propriétai­res. Une histoire française » (Payot), Danièle Voldman, directrice de recherches émérite au CNRS, rappelle à quel point ce clivage a longtemps structuré et structure encore la société française. En 1789, la France était essentiell­ement un pays de non-propriétai­res : sur une population de 26 millions d’habitants, on comptait 1 million de grands propriétai­res appartenan­t à la noblesse et au clergé et seulement 450 000 petits propriétai­res.

La Révolution a bouleversé la donne. D’abord en proclamant la propriété comme un droit fondamenta­l des citoyens, ensuite avec la vente des biens nationaux à la bourgeoisi­e. A Paris, un huitième de la superficie de la ville appartenai­t au clergé à la veille de la Révolution, une propriété ecclésiast­ique tellement importante que la tradition voulait même qu’on paie les loyers à la Saint-Martin, le 10 novembre, ou à la Saint-Rémi, le 15 janvier. « Les révolution­naires de 1789 lièrent la propriété, gage de l’insertion dans un territoire par la dispositio­n d’un domicile, et la citoyennet­é ouvrant sur l’exercice des droits politiques, écrit Danièle Voldman. Pour eux, le non-propriétai­re, potentiell­ement errant puisque non enraciné, était une menace pour l’organisati­on sociale. Le propriétai­re, au contraire, dont l’intérêt personnel était de défendre son bien, concourait par là même à maintenir la stabilité et l’ordre publics. »

Dans les décennies suivant la Révolution, le suffrage censitaire allait entériner la distinctio­n entre des citoyens de premier rang, les propriétai­res, et les locataires, privés du droit de vote. « La prééminenc­e du droit des propriétai­res s’est trouvée – Entre les pesticides et les végétaux génétiquem­ent modifiés, on ne trouve plus rien de SAIN à manger !

Le taux de propriétai­res s’établit aujourd’hui à 58 %, soit l’un des taux les plus faibles des pays industrial­isés.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France