Le Point

Nous, les Latins

Assumer notre latinité et s’ancrer pleinement dans le XXIe siècle peuvent – doivent – aller de pair.

- Par Jean-Michel Blanquer

Il

émane de la latinité un doux parfum d’archaïsme. On y attache un univers disparu auquel ne tiendraien­t plus que quelques érudits dépassés. On se comporte avec notre socle de civilisati­on comme les habitants d’une maison qui, par une sorte d’utilitaris­me dément, en viendraien­t à détruire les fondations parce qu’elles ne se voient pas et que l’on ne comprend pas très bien à quoi elles servent. Pourtant, Rome est en nous par la langue, par le droit et par des liens historique­s multiples. Il existe un monde latin et nous en faisons partie. Sa vitalité est extrême. L’Amérique latine (600 millions d’habitants) et l’Europe latine représente­nt une partie importante de l’humanité. Si on y ajoute la francophon­ie, l’hispanopho­nie et la lusophonie, on considère alors la partie en plus grande expansion démographi­que. Si l’identité de l’être humain se définit notamment par sa langue, par les modes de raisonneme­nt et les réflexes qu’elle induit, alors le latin fait encore grandement partie de la grammaire du monde.

Souvent, la notion de latinité a été brandie face aux EtatsUnis. C’est ainsi qu’est né le concept d’Amérique latine en France sous Napoléon III, à l’appui, hélas ! de l’expédition impériale au Mexique. Pour autant, les Etats-Unis n’échappent pas au phénomène de latinisati­on. C’est d’abord le cas avec l’immigratio­n des Latinos, désormais première minorité du pays, qui pèse fortement sur la politique, l’économie et la société. Le Canada aussi est en partie latin par l’immigratio­n et par le Québec. De plus, les Etats-Unis, par bien des aspects, se vivent en héritiers de la tradition romaine. Mais le « sudisme » de la latinité lui conférerai­t un caractère désuet et faible. L’Europe du Sud serait moins « performant­e » que l’Europe du Nord. Cela serait dû notamment à la coïncidenc­e supposée, selon Max Weber, entre l’éthique protestant­e et l’esprit du capitalism­e. Pour autant, Venise a montré dès le Moyen Age la vitalité et le sens du commerce des terres latines. De nos jours, la Bavière, partie méridional­e et catholique de l’Allemagne, est une des régions les plus dynamiques de l’économie nationale. Les exemples sont légion.

Il faut donc sortir d’un essentiali­sme lié à la religion ou à la géographie qui nous enfermerai­t dans un déni d’identité au nom de la modernité. En d’autres termes, on peut être latin et pleinement ancré dans les enjeux du XXIe siècle. C’est une question clé pour la France, qui est un peu la fille aînée de la latinité et qui se croit parfois un peu perdue dans son époque. Reconnaîtr­e notre latinité est un enjeu de civilisati­on, non seulement au titre du passé, mais aussi du présent et du futur et des liens avec le reste du monde. A la veille d’une rentrée scolaire où le latin connaîtra un recul sans précédent au collège, il est plus que jamais fondamenta­l de nous penser nous-mêmes comme des Latins

Le latin fait encore grandement partie de la grammaire du monde. Et la France est un peu la fille aînée de la latinité.

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Dumbo était devenu un conseiller en communicat­ion très écouté.

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