Nous, les Latins
Assumer notre latinité et s’ancrer pleinement dans le XXIe siècle peuvent – doivent – aller de pair.
Il
émane de la latinité un doux parfum d’archaïsme. On y attache un univers disparu auquel ne tiendraient plus que quelques érudits dépassés. On se comporte avec notre socle de civilisation comme les habitants d’une maison qui, par une sorte d’utilitarisme dément, en viendraient à détruire les fondations parce qu’elles ne se voient pas et que l’on ne comprend pas très bien à quoi elles servent. Pourtant, Rome est en nous par la langue, par le droit et par des liens historiques multiples. Il existe un monde latin et nous en faisons partie. Sa vitalité est extrême. L’Amérique latine (600 millions d’habitants) et l’Europe latine représentent une partie importante de l’humanité. Si on y ajoute la francophonie, l’hispanophonie et la lusophonie, on considère alors la partie en plus grande expansion démographique. Si l’identité de l’être humain se définit notamment par sa langue, par les modes de raisonnement et les réflexes qu’elle induit, alors le latin fait encore grandement partie de la grammaire du monde.
Souvent, la notion de latinité a été brandie face aux EtatsUnis. C’est ainsi qu’est né le concept d’Amérique latine en France sous Napoléon III, à l’appui, hélas ! de l’expédition impériale au Mexique. Pour autant, les Etats-Unis n’échappent pas au phénomène de latinisation. C’est d’abord le cas avec l’immigration des Latinos, désormais première minorité du pays, qui pèse fortement sur la politique, l’économie et la société. Le Canada aussi est en partie latin par l’immigration et par le Québec. De plus, les Etats-Unis, par bien des aspects, se vivent en héritiers de la tradition romaine. Mais le « sudisme » de la latinité lui conférerait un caractère désuet et faible. L’Europe du Sud serait moins « performante » que l’Europe du Nord. Cela serait dû notamment à la coïncidence supposée, selon Max Weber, entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Pour autant, Venise a montré dès le Moyen Age la vitalité et le sens du commerce des terres latines. De nos jours, la Bavière, partie méridionale et catholique de l’Allemagne, est une des régions les plus dynamiques de l’économie nationale. Les exemples sont légion.
Il faut donc sortir d’un essentialisme lié à la religion ou à la géographie qui nous enfermerait dans un déni d’identité au nom de la modernité. En d’autres termes, on peut être latin et pleinement ancré dans les enjeux du XXIe siècle. C’est une question clé pour la France, qui est un peu la fille aînée de la latinité et qui se croit parfois un peu perdue dans son époque. Reconnaître notre latinité est un enjeu de civilisation, non seulement au titre du passé, mais aussi du présent et du futur et des liens avec le reste du monde. A la veille d’une rentrée scolaire où le latin connaîtra un recul sans précédent au collège, il est plus que jamais fondamental de nous penser nous-mêmes comme des Latins
Le latin fait encore grandement partie de la grammaire du monde. Et la France est un peu la fille aînée de la latinité.