Le Point

Notre modèle social est encore régi par un texte du Conseil national de la Résistance. Est-ce pour cela qu’il est si difficile à moderniser ?

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Le texte se présente sous la forme d’une partition : « Les jours heureux », par le CNR. En l’ouvrant, on s’attendrait à découvrir des notes de musique. Mais elle serait plutôt du genre martial : un hymne vaillant à la France de demain que ce groupe, le Conseil national de la Résistance, songe déjà à reconstrui­re. Leur première réunion se tient le 27 mai 1943 sous la houlette de Jean Moulin, dans une pièce minuscule du 1er étage du 48, rue du Four, chez le fonctionna­ire des finances René Corbin. Un camouflage habituel dans les imprimerie­s clandestin­es de la Résistance : sous une apparence anodine, un opuscule sur la défense passive ou le scoutisme, on déguisait des manuels d’instructio­ns pour échapper au STO, poser des bombes, fabriquer de faux papiers… Le titre, « Les jours heureux », évocateur de lendemains qui chantent, pourrait, selon Bruno Leroux, directeur historique de la Fondation de la Résistance, être une allusion francisée à « Happy Days Are Here Again », la chanson emblématiq­ue de la première campagne de Roosevelt, celle du New Deal. Car à sa manière cette brochure, adoptée à l’unanimité des 16 membres du CNR le 15 mars 1944, dissimule aussi un New Deal à la française, pour reprendre le titre de l’ouvrage que vient de publier l’historien américain Philip Nord (Perrin) (voir p. 48) : le programme d’action de la Résistance.

Si sa première partie contient un plan immédiat pour la lutte armée et l’insurrecti­on, la seconde, appelée à passer à la postérité, puisqu’elle sera évoquée dans le préambule de la Constituti­on de 1946, renferme un véritable programme de gouverneme­nt. On y trouve le rétablisse­ment du suffrage universel, les nationalis­ations, la planificat­ion de l’économie, la Sécurité sociale, les comités d’entreprise, bref les quatre piliers de l’Etat providence… Un programme appliqué en grande partie dès la Libération et qui constitue ce qu’on appelle le modèle social français.

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