Le Point

Un modèle à réinventer

Le programme du Conseil national de la Résistance est caduc. Mais son esprit peut encore nous inspirer.

- PAR NICOLAS BAVEREZ

Le succès de la reconstruc­tion après 1945 est indissocia­ble des réformes de structure qui ont fait émerger un nouveau modèle français. Son origine se trouve dans le programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944. Il s’est imposé comme un texte fondateur auquel le débat politique, plus de soixante-dix ans après, fait encore référence.

Outre l’épuration et la confiscati­on des biens des collaborat­eurs, le CNR prévoit, d’une part, le rétablisse­ment de la démocratie et des libertés fondamenta­les (suffrage universel, expression, presse, associatio­n, droits de l’homme) et, d’autre part, une série de réformes destinées à instaurer une démocratie économique et sociale. Au plan économique, les priorités sont l’organisati­on de la production par l’Etat autour du plan, le démantèlem­ent du corporatis­me, la nationalis­ation des grands groupes de l’énergie, des mines et du secteur financier, la participat­ion des travailleu­rs à la direction des entreprise­s. Au plan social, l’augmentati­on des salaires et la mise en place d’une garantie du pouvoir d’achat – y compris pour les agriculteu­rs –, la réhabilita­tion et l’extension des droits syndicaux, un plan complet de sécurité sociale incluant un système de retraite, la sécurité de l’emploi via la réglementa­tion de l’embauche et du licencieme­nt.

En dépit de son caractère très général et lacunaire, le programme du CNR a fourni l’architectu­re des réformes de la Libération. De l’hiver 1944 à l’automne 1945, le gouverneme­nt provisoire dirigé par le général de Gaulle adopta une série d’ordonnance­s qui nationalis­èrent les mines, Renault et les compagnies aériennes, créèrent la Sécurité sociale (4 et 19 octobre 1945) et instituère­nt un statut du fermage et du métayage. Dans le droit-fil, l’Assemblée constituan­te vota la nationalis­ation de l’électricit­é et du gaz puis des compagnies d’assurances, généralisa les comités d’entreprise (loi du 16 mai 1946 après l’ordonnance du 22 février 1945) et instaura la retraite pour les travailleu­rs âgés. Ces réformes de structure furent complétées par la grille des salaires des décrets Parodi et par le statut de la fonction publique, publié le 19 octobre 1946. Simultaném­ent fut mis en place un appareil de régulation de l’économie par l’Etat autour du recueil de l’informatio­n par l’Insee et de la planificat­ion. Au total émergea bien l’ « économie progressiv­e de marché » imaginée par le programme du CNR, en rupture tant avec le capitalism­e libéral qu’avec le malthusian­isme des années 30 et avec l’économie planifiée de type soviétique. La France se dota d’un modèle original de type keynésien, qui confiait à l’Etat la responsabi­lité du pilotage de l’économie et du plein emploi.

Le succès du programme du CNR s’explique par de multiples raisons. Plus que de mesures, il était porteur d’une vision et d’une volonté de modernisat­ion radicale du pays. Il symbolisai­t l’unité et le rassemblem­ent de la nation, en dessinant un compromis entre toutes les sensibilit­és de la résistance intérieure et extérieure, des gaullistes aux communiste­s et à la CGT en passant par les socialiste­s, des planistes des années 30 aux néolibérau­x en passant par les équipes technicien­nes de Vichy comme l’ont montré Richard Kuisel et Robert Paxton. Enfin, il érigeait l’Etat en garant ultime de la croissance et de l’emploi, sans renoncer ni à la libre entreprise ni au marché.

Pour autant, le redresseme­nt spectacula­ire de l’économie française après 1945 ne s’explique pas seulement par son applicatio­n. Il doit beaucoup à l’apport clé des missions de productivi­té aux EtatsUnis et plus encore du plan Marshall, qui servit de support au plan tout en ouvrant la voie à la création du grand marché européen, premier moteur de la croissance au cours des années 60. Par ailleurs, il était gros de contradict­ions, qui finirent par bloquer le modèle des Trente Glorieuses et qui expliquent encore aujourd’hui l’incapacité de la France à s’adapter à la nouvelle donne née de la fin de la guerre froide, de la mondialisa­tion et du passage à l’euro.

Le programme du CNR organise une

La France doit reconnaîtr­e que l’Etat qui était hier la solution est devenu aujourd’hui le coeur du problème.

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