Un modèle à réinventer
Le programme du Conseil national de la Résistance est caduc. Mais son esprit peut encore nous inspirer.
Le succès de la reconstruction après 1945 est indissociable des réformes de structure qui ont fait émerger un nouveau modèle français. Son origine se trouve dans le programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944. Il s’est imposé comme un texte fondateur auquel le débat politique, plus de soixante-dix ans après, fait encore référence.
Outre l’épuration et la confiscation des biens des collaborateurs, le CNR prévoit, d’une part, le rétablissement de la démocratie et des libertés fondamentales (suffrage universel, expression, presse, association, droits de l’homme) et, d’autre part, une série de réformes destinées à instaurer une démocratie économique et sociale. Au plan économique, les priorités sont l’organisation de la production par l’Etat autour du plan, le démantèlement du corporatisme, la nationalisation des grands groupes de l’énergie, des mines et du secteur financier, la participation des travailleurs à la direction des entreprises. Au plan social, l’augmentation des salaires et la mise en place d’une garantie du pouvoir d’achat – y compris pour les agriculteurs –, la réhabilitation et l’extension des droits syndicaux, un plan complet de sécurité sociale incluant un système de retraite, la sécurité de l’emploi via la réglementation de l’embauche et du licenciement.
En dépit de son caractère très général et lacunaire, le programme du CNR a fourni l’architecture des réformes de la Libération. De l’hiver 1944 à l’automne 1945, le gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle adopta une série d’ordonnances qui nationalisèrent les mines, Renault et les compagnies aériennes, créèrent la Sécurité sociale (4 et 19 octobre 1945) et instituèrent un statut du fermage et du métayage. Dans le droit-fil, l’Assemblée constituante vota la nationalisation de l’électricité et du gaz puis des compagnies d’assurances, généralisa les comités d’entreprise (loi du 16 mai 1946 après l’ordonnance du 22 février 1945) et instaura la retraite pour les travailleurs âgés. Ces réformes de structure furent complétées par la grille des salaires des décrets Parodi et par le statut de la fonction publique, publié le 19 octobre 1946. Simultanément fut mis en place un appareil de régulation de l’économie par l’Etat autour du recueil de l’information par l’Insee et de la planification. Au total émergea bien l’ « économie progressive de marché » imaginée par le programme du CNR, en rupture tant avec le capitalisme libéral qu’avec le malthusianisme des années 30 et avec l’économie planifiée de type soviétique. La France se dota d’un modèle original de type keynésien, qui confiait à l’Etat la responsabilité du pilotage de l’économie et du plein emploi.
Le succès du programme du CNR s’explique par de multiples raisons. Plus que de mesures, il était porteur d’une vision et d’une volonté de modernisation radicale du pays. Il symbolisait l’unité et le rassemblement de la nation, en dessinant un compromis entre toutes les sensibilités de la résistance intérieure et extérieure, des gaullistes aux communistes et à la CGT en passant par les socialistes, des planistes des années 30 aux néolibéraux en passant par les équipes techniciennes de Vichy comme l’ont montré Richard Kuisel et Robert Paxton. Enfin, il érigeait l’Etat en garant ultime de la croissance et de l’emploi, sans renoncer ni à la libre entreprise ni au marché.
Pour autant, le redressement spectaculaire de l’économie française après 1945 ne s’explique pas seulement par son application. Il doit beaucoup à l’apport clé des missions de productivité aux EtatsUnis et plus encore du plan Marshall, qui servit de support au plan tout en ouvrant la voie à la création du grand marché européen, premier moteur de la croissance au cours des années 60. Par ailleurs, il était gros de contradictions, qui finirent par bloquer le modèle des Trente Glorieuses et qui expliquent encore aujourd’hui l’incapacité de la France à s’adapter à la nouvelle donne née de la fin de la guerre froide, de la mondialisation et du passage à l’euro.
Le programme du CNR organise une
La France doit reconnaître que l’Etat qui était hier la solution est devenu aujourd’hui le coeur du problème.