Philip Nord : « France, Etats-Unis, le match des New Deal »
L’historien américain décrypte l’émergence de la République sociale et économique.
Le Point :
n’évoque pas seulement le MRP, mais aussi des personnalités telles qu’Emmanuel Mounier. Enfin, les technocrates français qui appliquent le pacte de 1944 jusqu’en 1946 sont des fonctionnaires ayant grandi au sein de l’Etat, alors qu’aux Etats-Unis ils ont été recrutés au-dehors.
Des technocrates qui viennent parfois de Vichy…
Ou qui sont passés par Vichy. C’est le cas de Pierre Laroque, le « père » de la Sécurité sociale, qui a commencé par travailler au ministère du Travail de René Belin, en 1940, où ils avaient esquissé un projet de Sécu trop ambitieux. Par ailleurs, deux plans avaient été lancés sous Vichy (mise en valeur de la Sologne, de la Crau, démarrage du tunnel de la CroixRousse, du pont de Tancarville, c o ns t r uc t i o n d e b a r r a g e s …) , avant-coureurs du plan Monnet de 1946-1950, qui recrutera le même personnel. François Perroux, principal économiste de l ’ a près- guerre, a é t é à Vichy jusqu’en 1941. Pierre Schaeffer, qui met en place une partie de la future ORTF après guerre, a dirigé, avant d’entrer dans la Résistance, la Jeune France, sous Vichy, pour faire adhérer les jeunes à la Révolution nationale par le biais culturel. Alfred Sauvy, à l’origine d’une planification nataliste à partir de 1945, avait fait partie des services des statistiques et de la démographie sous le régime de Pétain.
Il est frappant de constater que des forces qui se sont violemment affrontées durant la guerre partageaient finalement un certain nombre de points de vue sur la société et l’économie.
C’est exactement la thèse de Stanley Hoffmann, qu’il avait développée dans un article intitulé « Les paradoxes de la vie politique », inclus dans son ouvrage « A la recherche de la France » (Seuil, 1963). Stanley Hoffmann, qui a beaucoup marqué Robert Paxton, dont il a préfacé « La France de Vichy » (1973), m’a également influencé. Malgré la haine qui divisait vichyssois et résistants, ils s’accordaient pour rejeter la IIIe République, devenue le repoussoir, le bouc émissaire, et étiquetée comme un Etat faible. Certes, d’un côté, il y a une réforme autoritaire, et, de l’autre, une réforme démocratique, mais leur grand point commun est d’avoir voulu rétablir l’Etat pour permettre la renaissance de la France