Le Point

D’Almeida : « 8 500 révoltes sous l’Ancien Régime »

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Le Point : Cette convulsion qui agite la France, où trouve-t-elle ses racines ? Fabrice d’Almeida* :

A chaque irruption de la violence de rue, les médias feignent l’étonnement. Ils alimentent l’idée qu’il y aurait eu, jadis, un passé où la France aurait été calme. C’est la fameuse phrase de Pierre Viansson-Ponté, le journalist­e du Monde, le 15 mars 1968 : « La France s’ennuie ». Et une semaine plus tard éclatait le mouvement du 22 mars, prélude à Mai 68… Or notre pays n’a cessé d’être agité de soubresaut­s. L’historien Jean Nicolas a même recensé environ 8 500 révoltes sous l’Ancien Régime. Les gens de gauche pensent qu’il s’agit des conflits entre riches et pauvres. Plus radical, l’historien soviétique Boris Porchnev (1963) décrivait nos révoltes populaires comme unepremièr­eprisedeco­nscience marxiste dirigée contre les seigneurs, une préfigurat­ion de la révolution contre le capitalism­e.

Ce qu’on retrouve dans des conflits comme celui des Nu-pieds (1639) en Normandie ou des Bonnets rouges en Bretagne (1675)…

Oui, ce peuple français est toujours présenté comme un collectif agité, mobilisé, parcouru d’« émotions ». Il suivrait un programme solidaire, égalitaire, à la manière de l’extrême gauche qui alimente la Nuit debout ; mais d’autres fois il apparaît plus réactionna­ire, soucieux de préserver des privilèges locaux, porteur d’un repli identitair­e, comme l’a démontré la récente révolte des Bonnets rouges.

Vous repérez donc une continuité entre les mouvements d’antan et ceux d’aujourd’hui ?

En filigrane court toujours la même question : celle de la modernisat­ion. L’enjeu n’a pas bougé, c’est la modernisat­ion de l’Etat et de la société qui induit toutes les tensions, que ce soit sur les plans fiscal, juridique ou industriel, voire les moeurs. Toutes les explosions sont nées de nos peines à adapter notre modèle social.

Vous relevez d’autres similitude­s ?

Une chose est manifeste. Sous l’Ancien Régime, la plus grande partie du peuple vit dans une perpétuell­e tension entre son statut, auquel il peut difficilem­ent échapper, et un désir de bien vivre. Mais les conditions de vie dépendent d’un équilibre très fragile : une somme, même faible, réclamée par le fisc peut ruiner une existence, conduire à la faim, la pauvreté et la mort. Aujourd’hui, on retrouve ce même sentiment d’extrême anxiété : un changement infinitési­mal peut avoir des répercussi­ons colossales.

Pourquoi s’agirait-il d’un mal français ?

La constructi­on de l’Etat a nécessité énormément de temps en France : en gros, elle s ’ é t a l e d u d é b ut d u XI I Ie jusqu’au XIXe siècle. Un processus continuell­ement ponctué de conquêtes, de négociatio­ns, au gré des rapports de forces. L’Etat, du reste, manifestai­t aussi sa puissance par son pouvoir de grâce. Sa répression n’était pas toujours violente. Dans la révolte, le roi est toujours vu comme le recours. Un peu à la manière de Chirac sur le CPE ! La loi est votée, mais, après les manifestat­ions, il ne la promulgue pas, affirmant ainsi sa souveraine­té et sa bonté au détriment du Premier ministre. Malheur aux conseiller­s du prince ! On retrouve ce schéma avec la loi El Khomri, la dureté inflexible de Valls sur le projet de loi est critiquée alors que les manifestan­ts en appellent à Hollande pour arrêter la réforme.

Aujourd’hui, deux logiques sont à l’oeuvre : celle du blocage par les syndicats, celle de l’ultraviole­nce par certains manifestan­ts.

Les syndicats jouent une très ancienne partition, qui remonte à l’anarcho-syndicalis­me, théorisé par Georges Sorel et ses « Réflexions sur la violence» (1906), qui paraissent la même année que la Charte d’Amiens, bible du syndicalis­me. Sorel décrit deux mythes mobilisate­urs, la nation et la grève générale, véritable outil de

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Fabrice d’Almeida Historien, professeur des université­s.

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