Venezuela, suicide mode d’emploi
Chavez et ses successeurs ont conduit le pays le plus riche en pétrole à la ruine.
Les premiers à se mettre en file devant le supermarché Plansuarez de l’avenida Principal de Caurimare sont arrivés à 5 heures du matin. A 10 heures, la queue pour acheter les produits à prix bloqués s’allonge sur une centaine de mètres sur le trottoir. On dit qu’il y a du sucre et des couches pour enfant, mais ni riz, ni lait, ni pâtes. Soudain, une rumeur selon laquelle il y aurait de la harina, cette farine de maïs à la base de l’alimentation des Vénézuéliens, parcourt la file. Dans le magasin, le comptoir est pris d’assaut. Seuls les plus costauds s’emparent d’un paquet. Au bout de dix minutes, les gardiens annoncent que le stock est écoulé, tandis que des policiers ramènent le calme. Une vieille dame pleure en silence. Une grosse bonne soeur la console. « La semaine dernière, dans mon quartier, une personne âgée s’est suicidée après avoir patienté des heures pour rien, explique-t-elle. Alors, je fais la queue et j’achète tout ce que je trouve pour le redistribuer. » A chaque coin de rue, des scènes semblables se déroulent pour trouver riz, pâtes, beurre, haricots noirs, lait, sucre, papier toilette, shampooing, Coca-Cola (coupe-faim des plus pauvres), bière. « En province, c’est pire, explique une femme enceinte. A Puerto Ordaz, mon cousin n’a pas vu une goutte de lait ou un gramme de sucre depuis six mois. »
Il ne reste plus qu’à prendre le chemin de Petare, le plus grand bidonville d’Amérique du Sud, au pied du mont Avila. C’est le règne des bachaqueros, les seigneurs du marché noir. Maigres étalages de stocks tombés du camion ou acquis grâce à la c o mpl i c i t é d ’ e mployés de supermarchés. Car, même à 10 fois le prix officiel, la pénurie se fait aussi sentir à Petare. La bière se vend à l’unité et plus à la caisse, pâtes e t huile sont des raretés, le lait est introuvable. A Petare comme à Wall Street : acheter du blanc de poulet est un investissement stratégique. « Le poulet est à 6 000 bolivars le kilo, une folie, explique Angelica. Mais la semaine dernière, il était à 3 500 bolivars. Qu’est-ce que je fais ? » 81 % de Vénézuéliens ont changé d’habitudes alimentaires et n’ont plus accès que très rarement aux protéines animales, 12 % d’entre eux souffrent gravement de la faim et ne font plus trois repas par jour. Les saccages se multiplient. La pénurie n’est pas qu’une affaire de pauvres. Dans un bureau d’études financières, une interview est brutalement interrompue par une nouvelle qui bouleverse tout le staff : Alberto a mis la main sur un sac de 25 kilos de sucre. La masse monétaire et le cours du pétrole peuvent attendre.
Impunité. L’odeur d’urine prend à la gorge dans le hall d’entrée de l’hôpital Vargas, le plus ancien de Caracas. Sur la porte des toilettes, un panneau indique : « Fermé, pas d’eau ». « Dans les blocs opératoires, nous avons des bidons d’eau pour nous laver les mains, explique le chirurgien Victor Gonzales. Mais nous essayons de ne pas opérer lorsque l’eau est coupée. De toute façon, nous n’avons que 3 lits de thérapie intensive, alors qu’il nous en faudrait 30. » Sur le mur, un poster à la gloire d’Hugo Chavez où l’on voit un enfant se faire ausculter par un médecin souriant, qui récite : « Seulement possible parce que socialiste »… « Les laboratoires pharmaceutiques ont cessé de nous livrer parce que le gouvernement ne les a pas payés, raconte le docteur Rosario Sano. Nous manquons de tout : seringues, gants, antibiotiques, médicaments contre l’hypertension ou pour la chimiothérapie. Nous demandons aux patients de trouver les médicaments au marché noir ou de se les faire envoyer de l’étranger. Il n’y a plus de papier pour imprimer les radios, alors nous faisons des photos des clichés