Le Point

Banquière de Lazard, Yan Lan tire les ficelles du business avec les Chinois. Portrait.

- PAR SÉBASTIEN FALLETTI, ENVOYÉ SPÉCIAL À HONGKONG

Elle ne parle pas, elle galope. Son français presque parfait avale les mots, comme engagé dans une course-poursuite avec le temps. « J’ai toujours l’impression d’être en retard, de chercher à rattraper cette décennie perdue. Ces dix ans de jeunesse et d’éducation que nous n’avons pas eus entre 1966 et 1976 » , lors de la Révolution culturelle, explique Yan Lan. Foulard Hermès autour du cou, cette femme vive aux cheveux courts de 59 ans semble pourtant avoir gagné la course, installée dans les bureaux cossus de Lazard, logés dans une tour futuriste surplomban­t la baie de Hongkong. A travers la bruine tropicale, au-delà des flots argentés, on distingue la Chine continenta­le, la terre de ses ancêtres mandarins, impériaux puis « rouges ». Toujours proches du pouvoir, secoués par les fracas de l’histoire de l’empire du Milieu, mais jamais vaincus. Elle nous reçoit en maîtresse des lieux, « managing director » de la « Grande Chine » pour la vénérable banque d’affaires.

Depuis son transfert fracassant chez Lazard en 2011, Yan Lan conseille les plus grandes entreprise­s chinoises en quête de pépites à racheter en Europe. « Avant, j’étais avocate, maintenant je suis banquière. Chez Gide, j’aidais les groupes français à venir en Chine. Maintenant j’accompagne les sociétés chinoises pour leurs investisse­ments dans le monde entier » , résume celle qui dirigea le bureau de Pékin du cabinet d’avocats français, entrouvran­t alors la porte de l’empire du Milieu aux poids lourds du CAC40. Désormais, son ombre plane sur la prise de participat­ion du géant du tourisme Hainan HNA dans Pierre & Vacances, sur l’entrée de la société Dongfeng au capital de PSA Peugeot Citroën, ou encore sur le rachat du mythique Pirelli par le congloméra­t d’Etat ChemChina pour 7 milliards de dollars en 2015. Changement d’époque. C’est la deuxième économie mondiale qui part désormais à l’assaut du monde.

Jean-Louis Beffa, ancien PDG de Saint-Gobain, et tant d’autres capitaines d’industrie français ont été guidés par Yan Lan, l’entremette­use rouge, à l’assaut de l’eldorado chinois ! « Un cabinet d’avocats possède toute une panoplie de flingues. Elle, c’était notre bazooka » , résume un ancien de Gide Loyrette Nouel. Un client qui cherche une informatio­n sensible dans le labyrinthe byzantin de l’administra­tion pékinoise ? Yan Lan décroche son téléphone et obtient directemen­t l’info de la bouche du ministre ad hoc, ami d’enfance ou de sa famille. En Chine, plus qu’ailleurs, le guanxi – ou réseau social – est essentiel pour réussir. « C’est comme en France entre les anciens de l’Ena ou de Polytechni­que. Moi, je suis allée à l’université de Pékin et j’ai des camarades d’école dans différente­s administra­tions. C’est beaucoup plus facile pour vérifier les informatio­ns pour un client » , résume Yan Lan. Evidemment.

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