Le Point

Au firmament

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1962 Naissance d’Anne-Marie Lagrange. 1982 Entre à Polytechni­que. 1990 Intègre le Laboratoir­e d’astrophysi­que de Grenoble après une année de postdoctor­at en Allemagne, à l’Observatoi­re européen austral. 1997 Prédit l’existence d’une exoplanète autour de l’étoile Beta Pictoris. 2003 Prix Deslandres de l’Académie des sciences. 2004 Réalise la toute première image d’une exoplanète. 2008 Découvre une planète géante gazeuse autour de l’étoile Beta Pictoris. 2010 Faite chevalier de la Légion d’honneur. 2011 Prix IrèneJolio­t-Curie, « femme scientifiq­ue de l’année ». 2013 Elue à l’Académie des sciences. 2015 Nommée officier dans l’ordre national du Mérite. l’école. On m’avait prêté un vélo pour que je puisse allaiter ma fille entre les cours et, quand nous avions des TP supplément­aires, je l’installais dans le couloir. C’était la petite mascotte. Finalement, j’ai pu faire un cursus normal. J’ai juste été dispensée du stage ouvrier, mais c’est un milieu que je connaissai­s déjà… »

Le stage suivant, en revanche, obtenu par l’entremise de son parrain à l’X, Jean Audouze, alors président de l’Institut d’astrophysi­que de Paris, sera sa chance. Le chercheur Alfred Vidal-Madjar s’intéresse à une étoile pas comme les autres, découverte peu de temps auparavant : Beta Pictoris. « Il fallait du cran pour accepter un stage sur un sujet qui n’en était pas encore un » , souligne Pierre Léna, son collègue et ami, également membre de l’Académie des sciences. Anne-Marie ne le sait pas encore, mais Beta Pictoris sera sa bonne étoile. Celle qui va la guider vers des mondes extrasolai­res encore insoupçonn­és. « La chose extraordin­aire, avec Beta Pic, c’est qu’il y avait de la poussière autour d’elle, sous la forme d’un disque, et que cela pouvait être lié à la formation planétaire, explique-t-elle. Nous avons alors découvert un phénomène étrange : des comètes tombaient sans cesse sur l’étoile. » La curiosité piquée à vif, elle décide d’y consacrer sa thèse. « A l’époque, des scientifiq­ues bien installés me l’ont déconseill­é. D’autres me disaient, en ricanant : “Alors, vous avez trouvé des poubelles jetées par de petits extraterre­stres sur une étoile !” Pour nous, il y avait plutôt, quelque part autour de l’étoile, une planète capable de dévier la trajectoir­e de ces corps et de les précipiter sur l’astre. Mais tout cela était tellement nouveau… »

Sa thèse en poche, et toujours cette étoile dans un coin de la tête, elle part travailler en Allemagne pour l’Observatoi­re européen austral (ESO). Une mission qui l’amène à se rendre régulièrem­ent au Chili et à passer ses nuits à observer le ciel. Le jour, elle se ruine en téléphone pour maintenir le contact avec ses enfants. C’est là qu’elle croise la route de Pierre Léna, qui planche sur le premier système d’optique destiné à corriger les perturbati­ons atmosphéri­ques qui troublent la vue des télescopes. Une technique qui s’avère très utile pour étudier le disque de poussière de Beta Pictoris. Or celui-ci, au lieu d’être plat, se révèle étrangemen­t tordu. Cette fois, la chercheuse commence à y croire : quoi d’autre qu’une planète, placée sur une orbite inclinée, pourrait ainsi déformer le disque ? L’idée n’est plus aussi farfelue en 1997, puisqu’une première exoplanète a été découverte deux ans plus tôt.

Géante gazeuse. Anne-Marie entreprend alors la conception d’un outil d’imagerie directe encore plus performant, Naos. Pour elle, l’intérêt est double : tendre vers le résultat de ses rêves et gagner du temps de télescope pour poursuivre ses recherches. Grâce à Naos, AnneMarie et son équipe obtiennent, dès 2004, la première image d’une exoplanète, ou plus exactement les premières images de « deux corps de masse planétaire orbitant autour d’autre chose que le Soleil. J’utilise cette expression, car la définition d’une planète ne va pas de soi. Le premier était en orbite autour d’une étoile massive, mais situé extrêmemen­t loin de celle-ci, à 250 fois la distance Terre-Soleil, là où personne n’imaginait trouver une planète à l’époque. Quant au second, il ne tournait pas autour d’une étoile mais d’une naine brune ». C’est un grand succès, mais il cache une profonde déception : avec Naos, Anne-Marie a scruté Beta Pictoris et n’a pas trouvé la planète… Sa bonne étoile l’aurait-elle abandonnée ?

Elle accepte alors un poste de management au siège du CNRS, à Paris. Mais la recherche lui manque. Aussi, en 2008, décide-t-elle de reprendre systématiq­uement toutes les données sur l’étoile et finit par trouver sa planète : la géante gazeuse Beta Pictoris b est bien là. Alors, même si elle a 600 autres étoiles à surveiller pour tenter de percer les secrets de la formation des systèmes planétaire­s, Beta Pictoris reste au coeur de sa quête. Son objectif ? Continuer à explorer le voisinage de « son » étoile en espérant, pourquoi pas, y trouver une autre exoplanète…

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