Melville, soldat
Longtemps, le réalisateur de « L’armée des ombres » a caché ses activités dans la Résistance. Pourquoi ? Les archives de la Défense éclairent ce mystère.
Fin mars, une révolution tranquille a secoué le ministère de la Défense : sa direction des archives a décidé de rendre accessibles ses fonds sur la Seconde Guerre mondiale. Cinq cents mètres de rayonnages hérités de l’ex-Direction générale de la sécurité extérieure offerts au public. Dans ce tas d’or historique, une pépite : le procès-verbal d’un interrogatoire mené à Londres par le contreespionnage du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) de la France libre. Dans le rôle du questionné, un Français de 25 ans, Jean-Pierre Grumbach, qui se fait déjà appeler Melville. Pourquoi cet interrogatoire ? On est le 13 août 1943 et Melville veut s’engager. Mais le BCRA, avant de l’accepter, souhaite vérifier qui il est et connaître ses activités depuis 1940.
Ce document de dix pages est exceptionnel à plus d’un titre. En raison, surtout, de l’extrême rareté des renseignements sur le futur réalisateur de « L’armée des ombres ». Fait incroyable, inexplicable, ce cinéaste de légende a échappé à la biographie. Comme si la légende qu’il avait savamment tissée autour de sa figure solitaire, coiffée d’un Stetson, retranchée derrière ses Ray Ban, avait découragé l’investigation. S’il parlait parfois de sa guerre, il n’évoquait jamais ses années de Résistance avec ses proches. Dans son seul livre d’entretiens (avec Rui Nogueira, paru d’abord en anglais, en 1971), la période 1940-1943 est expédiée en deux lignes elliptiques : « J’étais sous-agent du BCRA et, en même temps, militant de Combat et de Libération. Ensuite, je suis passé à Londres. » Pourquoi ce silence ? La passion pour le secret d’un homme dont ses neveux, Rémy Grumbach et Laurent Grousset, soulignent l’extrême pudeur ? La gêne du survivant,