Le Point

Un gaullisme exacerbé

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Lorsque ses studios de la rue Jenner flambèrent en 1967, Melville se rua à l’intérieur pour sauver son chat et… la photo dédicacée du général de Gaulle. Ses proches soulignent aussi qu’il voyait souvent le colonel Passy, l’ancien patron du BCRA, qu’il recevait avec beaucoup d’égards. Il était également un ami intime d’André Bord, ancien ministre et grand résistant.

qui estime avoir simplement accompli son devoir ? Ou parce que ses faits d’armes n’ont pas été à la hauteur de ce qu’imaginait celui qui, dans ses films, a sublimé la virilité et le romanesque ? Son ami Philippe Labro se souvient que Melville avait fait sienne la devise de Descartes, « Larvatus prodeo » (« J’avance masqué »). Au début du « Doulos », n’avait-il pas placé en exergue la phrase de Céline : « Il faut choisir, mourir ou mentir » ? A Londres, en 1943, il est bien obligé de jouer cartes sur table avec le BCRA. Voilà donc son seul moment de vérité.

L’autre intérêt de cette découverte est le lien avec son cinéma. Dans le documentai­re « Sous le nom de Melville » (2010), son réalisateu­r, Olivier Bohler, montrait une archive télévisuel­le qu’il avait retrouvée, où le cinéaste avouait : « Oui, j’ai honte, j’ai aimé la guerre, le rare moment où l’on rencontre la vertu. » Un amour qui nourrit ses grands films – « Le Doulos », « Le deuxième souffle », « Le samouraï ». Truands et flics s’y comportent avec un sens de l’honneur et de la loyauté propre aux officiers et aux soldats. « Ces valeurs, nous explique Rémy Grumbach, lui venaient de la guerre. Elles s’accompagna­ient aussi de leur contraire, la lâcheté, la trahison. » « Il était binaire, résume Philippe Labro, même s’il était hanté par les contradict­ions, fasciné par la traîtrise. Combien de fois n’a-t-il pas évoqué devant moi l’affaire Jean Moulin ? » « Il me disait : “C’est à la guerre que j’ai appris à connaître les hommes”. Il y a frôlé la mort, mais n’en avait pas eu peur, c’est du moins le sentiment qui filtrait » , ajoute Laurent Grousset. « Souvent, il m’emmenait la nuit dans des bars où tel gars de la Collaborat­ion avait été descendu » , se souvient aussi Bertrand Tavernier, qui, à 19 ans, fut un temps son « fils adoptif ».

Une omission. Dans ce document classé « très secret » se dévoile le parcours à la fois ordinaire et fascinant d’un juif résistant, qui mène une double vie. Après sa démobilisa­tion le 10 août 1940 à Mazamet – avec le 71e régiment d’artillerie, qui a connu de très lourdes pertes dans les Flandres –, il s’installe à Castres, où habite sa soeur. Dès octobre, il file à Marseille pour tenter de passer en Angleterre. C’est son obsession. Il mettra trois ans pour y parvenir. « Pendant quelques mois, je n’ai fait que des recherches et j’ai changé plusieurs fois d’hôtel » , explique-t-il au BCRA. Par son frère aîné, Jacques Grumbach, socialiste, conseiller de Léon Blum, il entre en contact avec Daniel Mayer, qui structure le Comité d’action socialiste clandestin. « Je m’occupais surtout de propagande, de la distributi­on de journaux et de tracts. » Sa couverture ? Représenta­nt en zone libre de la Société de couture et de confection. Il reste à Marseille jusqu’en janvier 1942. D’après Rémy Grumbach, à qui nous avons soumis ce texte, c’est là qu’il rencontre des truands du milieu avec qui il restera parfois en contact après la guerre. De retour à Castres – au cours de l’interrogat­oire, il va d’ailleurs nommer des collabos qui opèrent dans la ville – pour travailler dans l’usine de textile de son beau-frère, il s’occupe après mai 1942 de Combat et de Libération, deux organisati­ons dont il déclare qu’elles ont fusionné. Il porte alors le nom de Cartier. La suite est confuse. Le 14 juillet 1942, il retrouve par hasard à Limoges un camarade de Paris, Philippe Valat, qui lui demande de travailler pour son réseau. « J’ai accepté tout en précisant que ce n’était pas ce que je désirais exactement. » Par le biais de Valat, il rencontre en août, à Nice, un certain Ribet, alias Amédée, membre d’un autre réseau de renseignem­ent. Il reçoit deux missions : repérer un terrain d’atterrissa­ge près de Castres, faire remplir des fiches de renseignem­ents sur le transport de matériel militaire vers l’Afrique du Nord. Dans « Captivités et évasions » (1955), son ami Pierre Dreyfus-Schmidt mentionne cet épisode et raconte comment un très jeune membre imprudent du réseau brûle ce dernier. « Jean-Pierre pénètre chez moi après un coup de sonnette impérieux. Il faut détruire tous les papiers. Le mouvement est découvert. » Ce démantèlem­ent de son réseau, Melville l’omet dans son interrogat­oire. Pourquoi ? Avait-il des choses à cacher à Londres ? Il l’évoque par contre brièvement dans son livre d’entretiens, pour ajouter laconiquem­ent qu’il s’en est inspiré pour la terrible scène de l’exécution du traître dans « L’armée des ombres ». Là aussi, il pourrait flotter des ombres sur le rôle de Melville…

Au BCRA, il préfère détailler son évasion vers l’Espagne. Après quatre jours dans les montagnes, il passe par Luchon, le massif de la Maladeta, prend, avec plusieurs compagnons de Castres, un taxi pour Barcelone, où la filière d’évacuation utilise les services du consulat britanniqu­e. « J’espère que tu ne t’es pas déclaré juif au consulat » , lui demande l’un des deux juifs belges qui partagent avec lui une pension clandestin­e. Car cette filière refuse d’exfiltrer des juifs. Le lendemain, il retourne au consulat pour récupérer son état-civil au nom de Grumbach, qu’il échange discrèteme­nt contre celui de Cartier. Mais l’embarqueme­nt du groupe d’une vingtaine de personnes dans le port de Barcelone, à minuit, après de multiples péripéties, tourne mal. Leur bateau est arraisonné par l’armée espagnole. Comment ne pas songer à la scène de « L’armée des ombres » où Lino Ventura monte de nuit dans une chaloupe pour fuir en Angleterre ? Melville croupit cinq mois dans une canonnière, puis dans une prison à Carthagène, jusqu’en mai 1943. L’interventi­on d’un colonel assure sa libération, mais en juin il reste en résidence surveillée à Madrid. « Nous avons embarqué sur le “Sanaria” à Gibraltar le 6 juillet et nous avons quitté le port le 16 juillet. Nous

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