Le Point

L’homme qui aimait les faits

- PAR BRICE COUTURIER

N icolas

Baverez, son biographe, a raison : il y a bien des aroniens. Ils sont même de plus en plus nombreux à travers le monde. Mais l’aronisme, ça n’existe pas. Contrairem­ent à son « petit camarade » de promotion à Normale sup, Jean-Paul Sartre, Raymond Aron (mort en 1983) n’a pas bricolé un équivalent à l’existentia­lisme. Bien trop lucide pour se bricoler un « système » de pensée, il ne laisse pas de théorie générale prétendant embrasser d’un seul coup d’oeil la totalité du réel historique. Pourtant, sa vision était large et son regard, tendre et désabusé, savait dissiper les mirages de l’idéologie. Car ce philosophe, qui s’était coltiné Kant, s’était aussi initié très tôt à l’économie. Ce brillant historien était également un sociologue qui nous avait ramené Weber de ses années d’études en Allemagne – quand la France ne jurait que par Durkheim. Aron était enfin expert en relations internatio­nales de notoriété internatio­nale. Il n’aurait pas détesté jouer, auprès d’un président de la République assez intelligen­t pour le lui c onfi e r, l e r ôl e de Kis s i nger à l a Maison- Bl a nche.

Philosophe de l’histoire, il se méfiait des prophètes ainsi que de « l’illusion rétrospect­ive de nécessité » . Pendant près de trente ans, il fut ostracisé par les moutons de Panurge de l’intelligen­tsia progressis­te parce qu’il ne croyait pas que le marxisme fût « l’horizon indépassab­le de son temps » , ni que l’Union soviétique fût la « patrie des travailleu­rs » … La droite le détestait parce qu’il avait démontré, dès 1957, que la France aurait à quitter l’Algérie. Ayant rejoint la France libre à Londres, dès l’été 1940, et critique acerbe des faiblesses constituti­onnelles de la IVe République, il aurait pu jouer les gaullistes historique­s. Mais les tendances bonapartis­tes du Général inquiétaie­nt ce libéral, qui ne se gêna pas pour le faire savoir. De leur côté, les néolibérau­x alignés sur Hayek continuent à le tenir pour une espèce de social-démocrate parce que son angle d’analyse socio-économique englobe les systèmes d’économie de marché et ceux qui prétendaie­nt remplacer ces derniers par une planificat­ion centralisé­e. Mais, à la différence des éditoriali­stes du Aujourd’hui, Aron est malheureus­ement surtout connu aux Etats-Unis pour sa critique du marxisme, ce qui pourrait expliquer pourquoi la grande majorité des penseurs américains regarde son oeuvre comme appartenan­t au passé. En fait, depuis la chute de l’Union soviétique, ceux qui aux Etats-Unis s’intéressen­t à l’oeuvre d’Aron le font

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