Le Point

Rama Yade : « Pourquoi Macron serait-il plus crédible que moi ? »

Elle était turbulente dans le gouverneme­nt Fillon. Désormais candidate, plus rien ne retient l’ancienne secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME CORDELIER

Quand elle a lancé sa candidatur­e, le 21 avril, jour symbolique, les persifleur­s s’en sont donné à coeur joie. Mais Rama Yade avance et lâche désormais dans le débat son programme, un projet de 100 pages et 250 propositio­ns, concocté avec des experts de tous domaines (dont le général Elrick Irastorza, ex-chef d’état-major de l’armée de terre, l’avocat Christian Charrière-Bournazel ou l’économiste Augustin Landier) – et que Le Point publie en exclusivit­é. L’ancienne secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy brasse large, de la lutte contre les pesticides ou la souffrance animale à une réforme des institutio­ns françaises et de l’UE, de la réduction de la taxation du fioul en zone rurale à la création d’une armée de cyberdéfen­se, par exemple. Avec La France qui ose, la sémillante ex-UMP, portée aux nues par les sondés mais, pour l’instant, guère par les électeurs, veut fédérer autour d’un projet alternatif « économique, entreprene­urial, gaulliste, avec un vieux fonds radical » (sic), les « sacrifiés de la démocratie » .

Le Point : En quoi vous sentez-vous légitime pour porter un projet présidenti­el ? Rama Yade :

Un musulman d’origine pakistanai­se, Sadiq Khan, vient d’être élu maire de Londres ; Obama a fait deux mandats ; Matteo Renzi, les frères Miliband, les leaders de Podemos et Ciudadanos en Espagne ont tous 40 ans, parfois moins. Et chez nous la classe politique reste figée. Pour la prochaine présidenti­elle, on ne peut pas se limiter à un choix entre deux ex-présidents, deux anciens Premiers ministres et la famille Le Pen. La France est l’histoire de ma vie. Je veux proposer un projet alternatif aux Français, moi qui ai

grandi dans des milieux difficiles…

Difficiles ? Mais votre père était le bras droit du président Léopold Sédar Senghor ? !

Oui, mais il l’est devenu à la force du poignet. J’ai une double origine sociale : je viens d’un milieu culturelle­ment privilégié – il y avait des livres à la maison –, mais j’ai souffert d’accidents de la vie. Ma mère était professeur, spécialist­e de la civilisati­on gréco-latine, mais ses diplômes n’étaient pas reconnus en France. J’ai vécu dans une cité à Colombes pendant treize à quatorze ans. Ma mère n’aimerait pas que je dise cela, mais, quand un jour vous avez faim, vous ne l’oubliez pas. Je ne viens pas du monde des Le Maire, NKM ou Macron, même si j’ai pu croiser ce genre de personnes sur les bancs de l’université. J’ai une conscience très forte du fait que la France est une république où l’éducation reste un vecteur de réussite. Je viens d’un pays peuplé à 99 % de musulmans qui a élu comme premier président un catholique, Léopold Sédar Senghor. J’ai commis l’acte de confiance qui consiste, à 21 ans, à me déposséder de ma nationalit­é d’origine pour prendre celle du pays qui m’a accueillie. J’ai dix ans d’engagement­s publics ; je suis devenue haut fonctionna­ire au Sénat ; je connais les forces et les limites de l’Etat. J’ai été salariée d’une société qui s’occupe du reclasseme­nt des personnes sans emploi. Depuis trois ans, j’ai créé mon entreprise et j’ai vu comment la créativité des entreprene­urs pouvait être bridée. En tant que ministre, j’ai perçu la singularit­é de notre pays, le rang qu’il tient grâce à son Histoire. Mon projet est le fruit d’expérience­s concrètes, de vécu. Je me situe au confluent de la fracture identitair­e dont souffre la France. Je suis née dans un pays musulman, je suis mariée avec le fils d’un grand chanteur yiddish, ma fille, Jeanne, va à l’école catholique.

Vous avez créé une entreprise ?

C’est une entreprise de conseil. J’en suis la seule salariée, mais cette expérience m’a permis d’approcher le quotidien d’un entreprene­ur. Comment font-ils, ces patrons de PME qui ont plein d’employés ? Je ne sais pas. Le RSI à remplir, par exemple, c’est un truc de malade. Il faut le supprimer. Arrêtons d’assommer les chefs d'entreprise de paperasse. A peine un rapport sur l’économie collaborat­ive est-il rendu au gouverneme­nt qu’il veut déjà le brider… Pôle emploi, c’est 53 000 salariés, 5 milliards d'euros de budget et seulement 3,8 % de chômeurs placés. Et, à côté, vous avez une start-up comme Qapa.fr qui, en deux ans, place 30 000 chômeurs et fait 1 million d'euros de chiffre d’affaires. Dans nombre de secteurs comme l’emploi, la formation, le soutien scolaire, l’insertion des détenus, l’Etat est manifestem­ent en échec. Pourquoi alors ne pas confier ces missions à un tiers secteur, en créant des mutuelles de service public qui emploierai­ent des fonctionna­ires ? Nous devons passer de l’Etat-providence à la société de providence, structurée par ces associatio­ns, ces coopérativ­es, ces fondations, auxquelles j’ajoute les entreprise­s et les familles, qui sont tous des acteurs de la société civile et du destin collectif du pays.

Votre candidatur­e est-elle « une flèche qui fend le système », comme a dit Emmanuel Macron à propos de Jeanne d’Arc et de lui-même ?

Ah, ce Macron ! Entre celui qui dit et celui qui fait, il y a un grand pas. Moi, contrairem­ent à lui, je suis sortie du système, je n’ai pas de mandat, pas de parti avec moi. J’ai créé une coopérativ­e politique avec cinq mouvements d’horizons divers.

Des groupuscul­es…

Nous avons 50 000 sympathisa­nts au total, répartis dans 102 comités locaux. Les appareils mastodonte­s, les grosses huiles politiques, les barons dans leurs fiefs, les cumulards pathologiq­ues, quel bilan ont-ils en termes de chômage, d’éducation, de démocratie, de réalisatio­ns concrètes ? Nous devons dépasser ce système pour en bâtir un autre.

Effet de manche facile ! Il y a beaucoup de politiques, les maires notamment, qui agissent pour leur territoire.

Je parle des appareils nationaux, pas des maires. Je vous dépeins cette élite politique qui a affaibli la France, malmené les actions de l’Etat, paralysé le pays, laissé une vie civique dominée par l’esprit de communauté et de territoire, et finalement nous a poussés dans un burn-out collectif. Et ceux qui aujourd’hui proclament qu’il faut faire de la politique autrement sont le reflet de cela. Ils prétendent incarner le renouveau alors qu’ils sont députés, ils dénoncent les partis alors qu’ils en sont membres. Ils discourent, moi je fais !

Vous faites quoi ?

J’ai sauté le pas, j’ai annoncé ma candidatur­e, j’ai bâti un projet de 250 propositio­ns. Macron, lui, parle, mais il n’est pas candidat. Ces gens-là sont en plein dans la « dissonance cognitive », comme l’affirment les sociologue­s, ils ne sont pas ceux qu’ils disent être. La politique a besoin de cohérence. Un tiers des membres de mon mouvement viennent de l’UMP et de l’UDI, c’est quand même le signe que le malaise est grand, non ? Je ne vais pas aller à Calais juste pour montrer ma tête. Nous avons repéré partout en France des pratiques innovantes.

Comme tout le monde : des start-up…

Pas seulement. Je parlerai

« Je suis née dans un pays musulman, je suis mariée avec le fils d’un chanteur yiddish, ma fille va à l’école catholique. »

aussi, par exemple, d’agricultur­e avec l’associatio­n Terre de liens, qui permet aux agriculteu­rs d’échapper à la terreur des banques grâce à la finance participat­ive. Autre exemple : la médecine prédictive, qui permettra de déceler chez un individu quelle maladie il va développer dès le stade foetal, ce qui aura un impact sur le marché de l’assurance, notamment. Savezvous que Google connaît les épidémies avant même les instituts de veille sanitaire ? Et l’armée : avec le sang en poudre, les exosquelet­tes, les robots tueurs, sa mission n’est plus la même. Ces évolutions soulèvent des problèmes d’éthique, de compétitiv­ité, de sécurité, de souveraine­té nationale. Ce monde du futur est présent parmi nous, et les politiques ont déjà un train de retard. La France a vocation à devenir une puissance médiatrice. L’ordre du jour internatio­nal n’est plus aux mains des pays occidentau­x mais des Etats du Sud. L’atelier du monde, maintenant, c’est l’Afrique : sur les dix pays à plus forte croissance mondiale, six sont africains !

Comment expliquez-vous le décalage entre les sondages, qui vous portent aux nues, et vos mauvais résultats électoraux ?

Je me suis présentée une seule fois sur mon nom, laissez-moi une seconde chance ! Les autres sont élus dans des circonscri­ptions en or, moi je n’en ai pas, et celle que je guignais était à gauche. Je me suis présentée sans étiquette, en candidate libre, et l’UMP m’a mis un candidat en face, ça fait beaucoup ! Vous pourrez me juger sur ma capacité à être élue le jour où je ferai le plein des investitur­es. Je n’ai pas fait l’Ena. Je ne suis pas issue de la bourgeoisi­e d’Etat, des puissances d’argent. Je veux simplement servir mon pays.

Actuelleme­nt dans un « corner » politique, vous n’avez d’autre choix que celui de l’audace, d’où cette candidatur­e à la présidenti­elle ?

J’ai un métier, un enfant et plein d’autres choses à faire. Je ne mange pas de la politique. Je vais au bout de mes engagement­s, et je considère comme une Légion d’honneur d’avoir été exclue du Parti radical en dénonçant la corruption.

Pourquoi ne passez-vous pas par la case primaire ?

C’est un système américain, je suis française. Il n’y a aucune différence entre les candidats. Ils vont s’écharper en public. J’ai quitté l’UMP, je ne vais pas revenir devant ses électeurs. Ce ne serait pas une attitude gaulliste. L’enjeu, pour moi, ce sont les 500 signatures d’élus locaux, ces élus qui échappent au discrédit général de la politique, pas celles des 20 parlementa­ires requises pour la primaire. Je suis en harmonie quand je parle directemen­t aux Français, pas au système.

Comment avez-vous pris les sarcasmes qui ont accompagné votre annonce de candidatur­e ?

Ces moqueries, elles proviennen­t du microcosme parisien. C’est du mépris. Ils ont agi de même avec Ségolène Royal. Ils ont écrit des chariots de livres annonçant la victoire de Fabius ou de DSK. Et c’est Bécassine, comme ils disaient, qui a gagné ! Ils veulent rester dans l’entresoi et prennent la démocratie en otage. Ils ont déjà choisi leurs candidats. Moi, je veux proposer un autre choix. Pourquoi Macron, qui n’a qu’un an de vie politique, serait-il plus crédible que moi, qui en ai dix ? Pourquoi, quand j’exprimais des choses sur le fond au gouverneme­nt, me traitait-on d’hystérique quand lui, aujourd’hui, est célébré par la presse comme un héros ?

« Le monde du futur est présent parmi nous, et les politiques ont déjà un train de retard. »

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Sans parti ni mandat, Rama Yade s'est lancée dans la course à la présidenti­elle, le 21 avril.

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