Le Point

Taux négatifs, la périlleuse fuite en avant

Le Japon et la zone euro se sont enfermés dans cette stratégie. Et nul ne sait comment en sortir.

- Par Nicolas Baverez

D epuis

2014, les taux d’intérêt nominaux négatifs se sont généralisé­s. Ils s’appliquent à 8 750 milliards de dollars de dettes souveraine­s, principale­ment au Japon et en Europe, où le Brexit a fait basculer 380 milliards d’obligation­s supplément­aires au-dessous de zéro. Cette situation sans précédent constitue une profonde anomalie économique. Elle implique que les investisse­urs paient pour placer leur argent et que les débiteurs sont rémunérés pour emprunter. Elle ne correspond nullement à un équilibre de marché, mais résulte des politiques monétaires non convention­nelles mises en oeuvre par les banques centrales.

Le recours aux taux négatifs est venu compléter les programmes de rachat d’actifs lancés par la FED et la Banque d’Angleterre après le krach de 2008, puis par la Banque du Japon, à compter de l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe fin 2012, et par la BCE à partir de janvier 2015 sous l’impulsion de Mario Draghi. L’objectif consiste à repousser les limites rencontrée­s pour lutter contre la déflation en forçant le désendette­ment des débiteurs, à commencer par les Etats dont la dette atteint 108 % du PIB dans le monde développé, et en dévaluant le change. Le déversemen­t de liquidités est censé par ailleurs donner aux gouverneme­nts le temps nécessaire pour engager les réformes structurel­les.

Les taux négatifs, inutiles et dangereux, reviennent à corriger la faute d’une politique monétaire tardivemen­t accommodan­te face à un risque de déflation par une nouvelle erreur. Loin de relancer l’économie réelle, la répression financière entrave la reprise en dissuadant l’investisse­ment et en faussant l’allocation des ressources. En inversant la valeur du temps, les taux négatifs consacrent une préférence absolue pour le présent, la liquidité et la sécurité qui entretient la stagnation.

La stratégie des taux négatifs comporte des risques très élevés qui la vouent à l’échec. Sur le plan économique, elle sanctionne l’épargne et les investisse­urs, poussant les retraités à économiser davantage pour préserver leurs revenus et incitant les capitaux à se détourner de la zone euro, comme on le constate depuis le début de 2016. Sur les marchés, elle favorise la reconstitu­tion de bulles spéculativ­es, notamment sur les obligation­s privées à haut rendement, les actions de sociétés technologi­ques ou l’immobilier. Sur le plan financier, elle pousse à la faillite les banques, prises en étau par l’écrasement des marges d’intérêt, et les assurances, confrontée­s à la chute des rendements. Sur le plan budgétaire, elle encourage l’irresponsa­bilité des Etats pratiquant la croissance à crédit en les incitant à s’endetter, à l’image de la France, dont la dette publique atteint 97 % du PIB et dépasse 100 % du PIB si l’on consolide les engagement­s garantis

Les banques centrales sont prises en otage par les marchés et par les Etats surendetté­s.

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