Fatals antidouleurs
L’usage addictif de dérivés d’opium comme médicaments de confort tue.
des entreprises publiques du secteur de l’énergie et des transports. Sur le plan politique, elle ruine les classes moyennes, faisant le lit des populistes. Sur le plan européen, elle institue une union de transferts clandestins au sein de la zone euro des pays créditeurs vers les débiteurs, tout en retardant la restructuration des Etats, des banques et des entreprises zombies.
Pour toutes ces raisons, les taux négatifs ne peuvent s’inscrire dans la durée, à moins de ruiner les économies et les sociétés qu’ils prétendent protéger de la déflation. Banques et assurances européennes peuvent résister deux ans, mais certainement pas cinq. Mais nul ne sait comment en sortir. Les banques centrales sont en effet prises en otage par les marchés, qui refusent toute normalisation, et par les Etats surendettés. Une hausse trop rapide des taux provoquerait un krach obligataire ainsi qu’une cascade de défauts d’entreprise et de dettes souveraines. A l’exemple de la France, les Etats les plus fragiles utilisent les taux négatifs non comme une plateforme pour se réformer mais comme une garantie de pérennité pour des modèles insoutenables. Les taux négatifs préparent ainsi les prochains chocs contre lesquels les économies développées sont sans défense après que tous les moyens de la politique budgétaire et monétaire ont été engagés après 2008 pour éviter une déflation mondiale.
Il reste que les taux négatifs sont une parenthèse aberrante qu’il faut refermer au plus vite. La BCE se trompe d’instrument pour relancer le crédit, qui assure les trois quarts du financement de l’économie européenne. Elle doit privilégier la détente du carcan réglementaire qui ligote les banques et les assurances en pilotant la remise en question des normes prudentielles fixées par Bâle III et Solvabilité II. Par ailleurs, la survie de la zone euro passe par la convergence des pays qui la composent et une coordination renforcée des politiques économiques. Elle suppose, d’un côté, l’ajustement de la France et, de l’autre, la réduction de l’excédent courant de 8,8 % du PIB de l’Allemagne à travers la relance de l’investissement public et privé.
Loin de rétablir la confiance, cette dangereuse anomalie atteste que la crise n’est nullement terminée et que les banques centrales touchent les limites de leurs capacités d’action. Elles doivent mettre un terme à leur fuite en avant, pour ne pas ruiner leur crédit et provoquer une fuite généralisée vers le cash. Mais leur frénésie est d’abord le résultat de la lâche inaction des gouvernements. L’antidote à la surexposition de la politique monétaire, c’est la responsabilisation de la politique tout court La
mort de Michael Jackson puis de Prince par excès de médicaments antidouleurs aidera peut-être à alerter sur les vrais risques de mortalité. L’acharnement à lutter contre les douleurs non cancéreuses, dans une escalade sans limite, tue. C’est même l’une des dix premières causes de mortalité en Amérique. Sont utilisés surtout des dérivés de l’opium très addictifs qui entraînent le besoin d’augmenter les doses, car les douleurs deviennent intolérables en cas de sevrage. Ce qui a créé une épidémie d’addiction aux drogues légales issues de l’opium. La surenchère médicamenteuse amènera bientôt à utiliser des produits commercialisés pour les anesthésies générales… Dont la kétamine, qui a tué Michael Jackson, et le fentanyl, qui a terrassé Prince. Les deux ne supportaient pas des douleurs banales de type rhumatismal, qui ont enclenché l’addiction et le cycle infernal, amplifié par le fait que l’on ne refuse rien à des idoles. Il y a désormais plus de morts liées à l’absorption de drogues légales que de drogues illégales : dix fois plus aux Etats-Unis. Parmi les facteurs de risque, l’usage de ces drogues en dehors des douleurs cancéreuses, mais les lombalgies et la fibromyalgie sont également souvent prises en charge de cette façon.
Cette utilisation est poussée par l’industrie pharmaceutique et relayée par les associations de traitement de la douleur, d’après une étude parue dans le JAMA en 2012. Or, dans bien des cas, les thérapeutiques alternatives, telles que l’ostéopathie, la mésothérapie, l’acupuncture ou la thalassothérapie, font aussi bien et sont, elles, sans danger. A long terme, les médicaments contre les douleurs ont d’ailleurs un effet comparable à un placebo… Quand aux douleurs aiguës, leur prise en charge immédiate étant devenue un critère d’évaluation de la qualité des soins des patients, elles font l’objet d’une réponse médicamenteuse souvent disproportionnée, avec le recours à des drogues dures. La Californie permet depuis longtemps l’usage du cannabis pour les douleurs cancéreuses chroniques, sans effet addictif et sans danger démontré. Il semble que son usage diminue celui des drogues dures dans le traitement de la douleur.
Si l’on doit avoir peur, c’est donc plus des médicaments de confort (somnifères et antidouleurs) que du bisphénol, des pesticides ou des ondes téléphoniques, qui effraient surtout au regard du principe de précaution. En effet, les cancers diminuent, ainsi que l’alzheimer (– 44 % en trente ans), tandis que notre espérance de vie augmente. Les médicaments qui tuent ne sont pas les antibiotiques, qui ont mauvaise réputation alors qu’ils sauvent des vies tous les jours, mais les médicaments de confort
Il y a désormais plus de morts liées à l’absorption de drogues légales que de drogues illégales.