Le Point

La stratégie du

L’Europe n’avance que lorsqu’elle est « dos au mur ». De l’immédiat après-guerre à la crise des réfugiés, ses moments critiques ont souvent – pas toujours – engendré un sursaut salvateur.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN EUROPE PAR LUC DE BAROCHEZ*

… et après un bref épisode internatio­naliste, en l’occurrence, la création de l’Onu. L’Europe, une fois encore, se construit sur le besoin de paix, elle est fondée par des « pères » originaire­s de territoire­s proches de frontières, mais elle intègre aussi des expérience­s passées, des années 20 ou du XIXe siècle, où l’économie a joué un rôle.

Pourquoi n’avoir pas incarné l’Europe avec ces « pères » sur les billets ?

Il ne fallait favoriser aucun pays, or chaque « père » avait une nationalit­é. C’est pourquoi les monuments représenté­s ne sont d’aucun pays précis non plus, mais représente­nt seulement des éléments d’architectu­re européenne.

Comment expliquer la crise actuelle des valeurs européenne­s ?

Celles-ci sont au nombre de trois. La plus centrale est la paix. Or on s’éloigne toujours plus en Europe d’un risque de guerre et de ce souvenir de la guerre. Avons-nous tous désormais une histoire commune dans l’Europe élargie ? Si l’Europe centrale et de l’Est était très présente dans l’Europe briandiste, qui incluait 27 pays, elle n’a pas vécu la même histoire que nous pendant quarante ans. L’Europe a été fondée enfin pour améliorer le niveau de vie, être au service des peuples. Or ceux-ci ont désormais le sentiment qu’elle travaille à leur encontre.

La crise fait-elle partie de l’histoire de l’Europe ?

Elle est même constituti­ve de son Histoire, qui ne suit pas une constructi­on linéaire. En 1954, la Communauté européenne de défense est un échec, ce qui marque la fin de la prédominan­ce française en matière d’initiative européenne, puisque la relance qui a conduit aux traités de Rome de 1957 doit surtout à l’action des pays du Benelux. En 1973, la Norvège est le premier pays qui dit non à l’Europe, ce qui incite du reste à mettre en place un Eurobaromè­tre pour mesurer au fil du temps l’attachemen­t de chaque pays à l’unité européenne. La Grande-Bretagne a failli elle-même ressortir de l’Europe dès 1975 : jugeant qu’elle paie déjà trop pour ce qu’elle reçoit, elle organise un référendum où seules les trois autres nations, pays de Galles, Ecosse, Irlande du Nord, votent majoritair­ement oui. L’Angleterre a voté oui à seulement 38,7 %. De cette crise est sorti pourtant le Fonds européen de développem­ent économique et régional, demandé par le Royaume-Uni, essentiel aujourd’hui. Puis il y eut les années Thatcher, l’europessim­isme né de la difficile ratificati­on du traité de Maastricht. L’Europe connaît des crises cycliques. Nul doute que cette crise va accoucher d’une autre forme d’Europe Maître de conférence­s à l’université Paris-I. Membre du LabEx Ecrire une histoire nouvelle de l’Europe. Auteur de « Gagner la paix. 1914-1929 » (Seuil).

Le bourdon défie les lois de la physique, car il est trop lourd pour la portance de ses ailes. Et pourtant, il vole ! L’Europe a quelque chose de cet hyménoptèr­e velu : elle défie les lois de l’Histoire. Depuis sa conception il y a soixante-dix ans, elle ne cesse de tituber de crise en crise. Jusqu’ici, cela ne l’a pas empêchée de progresser. Jean Monnet, l’un de ses pères fondateurs, l’a écrit dans ses Mémoires : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Car, pensait-il, « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » . Herman Van Rompuy, qui a présidé le Conseil européen de 2010 à 2014, le confirme aujourd’hui : « Mon expérience, c’est que nous ne prenons des décisions audacieuse­s que lorsque nous sommes dos au mur, en contemplan­t le fond de l’abîme et avec un couteau sur la gorge. Voilà pourquoi les avancées importante­s supposent, malheureus­ement, une situation de crise. »

Des crises, l’Europe en a plein sa besace en ce moment. Elle est économique­ment mal en point, politiquem­ent contestée comme jamais. Le vote des Britanniqu­es en faveur de la sortie de l’Union, lors du référendum du 23 juin, constitue le pire revers qu’elle ait jamais subi. Certains des principaux dirigeants européens ne cachent plus un noir pessimisme. « L’échec de l’Europe est un scénario réaliste » ,a lâché récemment le président du Parlement de Strasbourg, Martin Schulz. Et pourtant, là encore, certains, comme le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, croient que les défis actuels offrent à l’Union « une grande opportunit­é de revitalisa­tion » . C’est que l’Europe n’a cessé de traverser des moments critiques depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a régulièrem­ent, pas toujours, réussi à en sortir par le haut.

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