La stratégie du
L’Europe n’avance que lorsqu’elle est « dos au mur ». De l’immédiat après-guerre à la crise des réfugiés, ses moments critiques ont souvent – pas toujours – engendré un sursaut salvateur.
… et après un bref épisode internationaliste, en l’occurrence, la création de l’Onu. L’Europe, une fois encore, se construit sur le besoin de paix, elle est fondée par des « pères » originaires de territoires proches de frontières, mais elle intègre aussi des expériences passées, des années 20 ou du XIXe siècle, où l’économie a joué un rôle.
Pourquoi n’avoir pas incarné l’Europe avec ces « pères » sur les billets ?
Il ne fallait favoriser aucun pays, or chaque « père » avait une nationalité. C’est pourquoi les monuments représentés ne sont d’aucun pays précis non plus, mais représentent seulement des éléments d’architecture européenne.
Comment expliquer la crise actuelle des valeurs européennes ?
Celles-ci sont au nombre de trois. La plus centrale est la paix. Or on s’éloigne toujours plus en Europe d’un risque de guerre et de ce souvenir de la guerre. Avons-nous tous désormais une histoire commune dans l’Europe élargie ? Si l’Europe centrale et de l’Est était très présente dans l’Europe briandiste, qui incluait 27 pays, elle n’a pas vécu la même histoire que nous pendant quarante ans. L’Europe a été fondée enfin pour améliorer le niveau de vie, être au service des peuples. Or ceux-ci ont désormais le sentiment qu’elle travaille à leur encontre.
La crise fait-elle partie de l’histoire de l’Europe ?
Elle est même constitutive de son Histoire, qui ne suit pas une construction linéaire. En 1954, la Communauté européenne de défense est un échec, ce qui marque la fin de la prédominance française en matière d’initiative européenne, puisque la relance qui a conduit aux traités de Rome de 1957 doit surtout à l’action des pays du Benelux. En 1973, la Norvège est le premier pays qui dit non à l’Europe, ce qui incite du reste à mettre en place un Eurobaromètre pour mesurer au fil du temps l’attachement de chaque pays à l’unité européenne. La Grande-Bretagne a failli elle-même ressortir de l’Europe dès 1975 : jugeant qu’elle paie déjà trop pour ce qu’elle reçoit, elle organise un référendum où seules les trois autres nations, pays de Galles, Ecosse, Irlande du Nord, votent majoritairement oui. L’Angleterre a voté oui à seulement 38,7 %. De cette crise est sorti pourtant le Fonds européen de développement économique et régional, demandé par le Royaume-Uni, essentiel aujourd’hui. Puis il y eut les années Thatcher, l’europessimisme né de la difficile ratification du traité de Maastricht. L’Europe connaît des crises cycliques. Nul doute que cette crise va accoucher d’une autre forme d’Europe Maître de conférences à l’université Paris-I. Membre du LabEx Ecrire une histoire nouvelle de l’Europe. Auteur de « Gagner la paix. 1914-1929 » (Seuil).
Le bourdon défie les lois de la physique, car il est trop lourd pour la portance de ses ailes. Et pourtant, il vole ! L’Europe a quelque chose de cet hyménoptère velu : elle défie les lois de l’Histoire. Depuis sa conception il y a soixante-dix ans, elle ne cesse de tituber de crise en crise. Jusqu’ici, cela ne l’a pas empêchée de progresser. Jean Monnet, l’un de ses pères fondateurs, l’a écrit dans ses Mémoires : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Car, pensait-il, « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise » . Herman Van Rompuy, qui a présidé le Conseil européen de 2010 à 2014, le confirme aujourd’hui : « Mon expérience, c’est que nous ne prenons des décisions audacieuses que lorsque nous sommes dos au mur, en contemplant le fond de l’abîme et avec un couteau sur la gorge. Voilà pourquoi les avancées importantes supposent, malheureusement, une situation de crise. »
Des crises, l’Europe en a plein sa besace en ce moment. Elle est économiquement mal en point, politiquement contestée comme jamais. Le vote des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union, lors du référendum du 23 juin, constitue le pire revers qu’elle ait jamais subi. Certains des principaux dirigeants européens ne cachent plus un noir pessimisme. « L’échec de l’Europe est un scénario réaliste » ,a lâché récemment le président du Parlement de Strasbourg, Martin Schulz. Et pourtant, là encore, certains, comme le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, croient que les défis actuels offrent à l’Union « une grande opportunité de revitalisation » . C’est que l’Europe n’a cessé de traverser des moments critiques depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a régulièrement, pas toujours, réussi à en sortir par le haut.