Comprendre les angoisses ancestrales
Neuropsychologue, Francis Eustache explore les traces laissées par les attentats.
Le Point : Quels sont les premiers symptômes psychiques ?
La pathologie la plus fréquente est appeléeletroubledestresspost-traumatique. Les spécialistes ont d’abord utilisé l’expression « névrose de guerre ». Les symptômes ont été précisés par des psychiatres américains pendant la guerre du Vietnam. Des critères très précis ont été proposés et de nombreuses recherches en psychopathologie et en neurosciences ont été menées. De plus en plus, on considère que le coeur de la symptomatologie est une distorsion de la mémoire dominée par des pensées et des images intrusives. La personne qui souffre d’un tel trouble est confrontée, de façon récurrente, à des éléments sensoriels qui proviennent de l’événement traumatique. La victime revoit ainsi des images dans une réalité très crue qui s’impose à elle. Contrairement à un souvenir dont il sait qu’il est vécu au passé, il est impossible pour le patient d’inhiber ces agressions mémorielles qui sont vécues au présent. Une victime de Nice va revoir en boucle le camion sans que cette image soit contextualisée dans un cadre plus général. C’est un flash qui reste de façon permanente dans son esprit : le camion revient vers elle. Chacun vit des moments tragiques dans son parcours personnel – maladies, deuils… –, mais ces images pénibles restent entourées d’autres, réconfortantes, et s’inscrivent dans une trajectoire de vie. Le souvenir traumatique ne peut prendre sa place dans un tel parcours. Il se distingue comme un élément non intégré au reste. Mais la victime n’est pas dupe. Elle ressent que certaines images la terrorisent et, en conséquence, va essayer d’éviter d’être en contact avec tout indice susceptible de réactualiser la scène. Si l’indice « camion » devient rémanent, alors le patient va essayer de s’en extraire. Ainsi, la plupart des victimes du Bataclan évitent les endroits confinés. Certaines refusent même de prendre le train pour venir participer à nos recherches à Caen.
Combien de temps cet état de stress peut-il durer ?
Selon les critères actuels, si les symptômes subsistent plus d’un mois après l’événement traumatique, la victime est considérée commesouffrantdestresspost-traumatique. Les données épidémiologiques montrent que le temps fait son effet. Dans la plupart des cas, après un à cinq ans, les symptômes se résorbent. Mais, dans ces situations extrêmes et avec la menace des attentats, les scientifiques ne disposent pas encore d’assez de recul. L’étude IMPACTS (pour Investigation des manifestations traumatiques post-attentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien), lancée après les attaques de janvier 2015, vient d’être prolongée. Lors de cette dernière année tragique, les chercheurs, et plus largement la communauté scientifique, ont été très réactifs. Nous avons une réponse spécifique et forte à apporter : faire progresser