Le Point

Questions sur le bracelet électroniq­ue

- MARC LEPLONGEON

En mars 2016, Adel Kermiche, 19 ans, en détention provisoire pour avoir tenté de rallier la Syrie, est placé par la juge d’instructio­n sous surveillan­ce électroniq­ue. Le parquet s’y oppose, la chambre d’instructio­n valide. En tout, 4 juges ont donc examiné la question. Quelques mois plus tard, le 26 juillet, le djihadiste lance l’assaut à Saint-Etiennedu-Rouvray. La polémique enfle. La justice a-t-elle failli ? L’Union syndicale des magistrats appelle à ne surtout pas supprimer le bracelet électroniq­ue. « Ce serait dangereux, explique-t-elle. Les juges n’auraient plus le choix qu’entre un enfermemen­t et une liberté sans le moindre contrôle. » Les députés Républicai­ns proposent quant à eux de placer dans un « centre de rétention spécialisé » toute personne qui, par « son comporteme­nt » , présente « une menace grave pour la sécurité » . Une solution extrême qui

obsèques d’Hervé Cornara, le chef d’entreprise décapité.

Sensible mais pas moins solide. A gauche, on loue son « sérieux et sa discrétion » , à droite, on cherche des synonymes. Même le grand copain de Sarkozy, Brice Hortefeux, ne cache pas son « amitié » et son respect pour ce ministre qui donne le sentiment d’atteindre son but ultime, ainsi résumé par lui en privé : « S’effacer devant l’Etat. »

Mais, soudain, cette gravité mêlée de zèle ne suffit plus. Le calendrier tragique le rattrape. Un conducteur de camion assassine 84 personnes, en blesse une centaine sur la Promenade des Anglais. Deux tueurs, dont un équipé d’un bracelet électroniq­ue (voir encadré) et l’autre recherché et fiché S, égorgent un prêtre. « L’union nationale », déjà ébréchée, vole en éclats. Christian Estrosi, l’ancien maire de Nice, adjoint chargé de la sécurité, président de la métropole permettrai­t d’enfermer temporaire­ment tout candidat au djihad sur la base de sa seule dangerosit­é. « Je refuse cette volonté de guantanami­sation de la société » ,a répondu Jean-Jacques Urvoas, précisant que, sur les 293 mis en examen dans des dossiers terroriste­s en zone irakosyrie­nne, 190 sont en détention provisoire et 103 sous contrôle judiciaire. Parmi ces derniers, 6 seulement portent un bracelet électroniq­ue

Nice-Côte d’Azur et de la région Paca, qu’il a ravie de justesse au FN, interroge la responsabi­lité de l’Etat ? Passe encore. Mais entendre le si modéré Alain Juppé assurer que « si tous les moyens avaient été pris le drame n’aurait pas eu lieu » devient insoutenab­le pour lui. En privé, Cazeneuve s’étouffe, desserre son noeud de cravate si parfaiteme­nt bombé : « Je ne l’attendais pas de Juppé, je pensais que c’était le dernier à pouvoir faire ça… »

Nuit blanche. Les esprits n’ont pas le temps de s’apaiser. Le 20 juillet, Libération dénonce « des failles et un mensonge » . Des journalist­es affirment que la police nationale n’était pas présente à l’entrée de la « Prom » le 14 juillet au soir. La tension grimpe. En pleine nuit, Cazeneuve rédige un communiqué dans lequel il déplore des « contre-vérités » et des « procédés qui empruntent aux ressorts du complotism­e » . Il ne tolère pas les reproches.

Pas le temps de gamberger. Le 24 juillet, c’est Le JDD qui porte un nouveau coup à sa réputation en donnant la parole à une certaine Sandra Bertin. Les propos de la policière chargée de la vidéosurve­illance à Nice sont accablants : des fonctionna­ires de Beauvau auraient fait pression pour qu’elle note dans son rapport la présence de voitures de la police nationale à l’entrée de la Promenade. Pis, un membre du cabinet ministérie­l lui aurait réclamé un rapport modifiable. Des soupçons sont alors évoqués sur ce témoignage. Même chez Les Républicai­ns, on glisse que la jeune femme est « très proche » d’Estrosi. Mais certains s’interrogen­t : pourquoi Cazeneuve, qu’on dit d’une précision presque chirurgica­le, « soucieux d’anticiper ce qui relève de son niveau de responsabi­lité », insiste le préfet de police de Paris Michel Cadot, a-t-il été si vague en déclarant que « la police nationale était présente et très présente sur la Promenade des Anglais » ? « Soit il lui manquait des informatio­ns, soit il couvre quelqu’un, hasarde un élu LR le lendemain de la parution de l’interview polémique. Mais je ne le vois pas mentir… » Pour cet ancien membre de son équipe interrogé avant la remise du rapport de l’IGPN (selon lequel 64 policiers nationaux étaient bien présents le jour du drame, NDLR), « s’il y a eu une faute, le ministre n’a pas intérêt à la couvrir. Bernard, pour bien le connaître, est plutôt du genre à dire les choses. Et ce, quelles qu’en soient les conséquenc­es. S’il y a eu une erreur, c’est une chaîne où tout le monde a essayé de se couvrir. La bonne réponse va être administra­tive ».

Pour le ministre, c’en est trop. L’imperturba­ble, qui parle si bas qu’il faut tendre l’oreille pour l’écouter, le calme Cazeneuve explose. Il porte plainte pour diffamatio­n. Un ministre de l’Intérieur en conflit frontal avec une simple policière ? Inédit ! « Cette histoire l’a rendu furieux », concède un intime. Pendant que ses collaborat­eurs font chauffer leurs ordinateur­s pour prendre vite, vite le

« Je ne l’attendais pas de Juppé, je pensais que c’était le dernier à pouvoir faire ça… » Bernard Cazeneuve

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Défaillanc­e. Le dispositif a montré ses faiblesses.

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