Le Point

Le porno

Accès précoce à la pornograph­ie, poids grandissan­t de la religion dans les quartiers, IVG de mineures en augmentati­on… L’éminent gynécologu­e Israël Nisand qui, depuis vingt ans, parle de sexualité en milieu scolaire s’alarme. Rencontre.

- PROPOS RECUEILLIS PAR VIOLAINE DE MONTCLOS

Il est à la fois honni par une frange de la gauche qui lui reproche sa lutte bruyante contre l’IVG des mineurs, et par une partie de la droite qui n’apprécie guère ses positions sur l’aide médicale à la procréatio­n. Israël Nisand n’en a cure. Traité de marchand de morale un jour, ciblé par les intégriste­s catholique­s le lendemain, le professeur de gynécologi­e-obstétriqu­e, également fondateur du Forum européen de bioéthique, défend le droit des femmes comme un enragé et accomplit surtout, à Strasbourg, un formidable travail de santé publique. Sillonnant depuis vingt ans les établissem­ents scolaires pour y dispenser des cours d’informatio­n sexuelle dès la classe de troisième, Nisand et ses équipes parlent aux ados, sans tabou, de contracept­ion, de plaisir, d’égalité homme femme, d’homosexual­ité. Et tente désespérém­ent de réparer les ravages qu’a déjà faits le porno sur ces tout jeunes élèves.

Le Point : Comment ont commencé ces « master classes » sur la sexualité ? Israël Nisand :

A la maternité de Poissy, où j’exerçais au milieu des années 90, je voyais très souvent des jeunes filles de 15 et 16 ans avec des bébés dans les bras. La plupart venaient du collège voisin. Je suis donc allé voir le directeur pour le convaincre d’intervenir en prévention dans son établissem­ent. De retour à Strasbourg, j’ai proposé ce programme à tous les collèges et j’ai vite été débordé par les demandes. Au départ, l’idée était d’informer sur la sexualité et la contracept­ion, avec un objectif mesurable : faire baisser le nombre d’IVG chez les mineures. En France, il est de 15 000 par an ! Un record, comparé à bon nombre de nos voisins européens… Je sais que certains pensent que l’IVG est un moment anodin et même, pourquoi pas ? positif dans l’existence d’une femme, mais aucun parent au monde ne souhaite que son enfant commence sa vie sexuelle par une interrupti­on de grossesse.

On peine à croire qu’il soit encore nécessaire d’informer les adolescent­s d’aujourd’hui sur les risques de grossesse ou de MST. Ils savent donc si peu de chose ?

Leurs cours parlent de reproducti­on, pas de contracept­ion ! J’ai demandé à plusieurs reprises aux ministres de l’Education nationale que la loi française de 2001 qui prévoit une éducation affective et sexuelle dans le cadre scolaire soit tout simplement appliquée. Sans succès : cela n’est fait nulle part ! Quant aux parents, ils ont besoin d’aide pour aborder ces questions avec leurs ados, qui n’ont d’ailleurs pas toujours envie de les entendre sur ce sujet. A l’âge où nos jeunes sont le plus vulnérable­s, la communicat­ion sur ces sujets fondamenta­ux se fait mal. Donc, oui, beaucoup d’entre eux font une utilisatio­n erronée de la contracept­ion,ontdemauva­isesinform­ations, ne savent pas qu’il suffit d’un seul rapport pour qu’une grossesse non souhaitée survienne… Dans les pays qui ont trois fois moins d’IVG que nous, aux Pays-Bas, au Québec, en Suisse romande, ce sont les médecins installés qui font de l’informatio­n sexuelle dans le collège de leur secteur. Et à Strasbourg, où nous faisons maintenant ces interventi­ons scolaires depuis dix-huit ans, le résultat est évident : la proportion d’IVG de mineures y est deux fois plus faible que sur le reste du territoire…

Vous êtes plusieurs à intervenir ?

Une trentaine de médecins et de sages-femmes. C’est bien simple, tous les internes du service savent qu’ils ne deviendron­t pas chefs de clinique s’ils ne savent pas faire une interventi­on en milieu scolaire ! C’est aussi important que de savoir pratiquer une césarienne… Et je les forme, car être face à une classe de troisième et parler de sexualité, ça ne s’improvise pas. Au départ, j’ai moi-même fait des erreurs. Pas la peine qu’ils refassent les mêmes.

Par exemple ?

Je venais avec des schémas d’utérus et de testicules, et ça ne les intéressai­t pas du tout ! Et puis, à cet âge, si vous faites passer un préservati­f dans la classe, il y a toujours un « Agnan » au premier rang qui a deux ans d’avance et que cela met très mal à l’aise. J’ai surtout

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