Conan le Barbare, ce super-héros déprimé
Quel est le rapport entre Conan le Barbare et Oswald Spengler, le très contesté auteur du « Déclin de l’Occident » ? La réponse est un nom américain, Robert Howard, à qui l’on doit en 1932 l’apparition de Conan, ce mercenaire barbare originaire de Cimmérie (une contrée près de la mer d’Azov) qui se porte au secours de la civilisation hyborienne, assaillie de toutes parts par d’autres Barbares. Jeune écrivain prolifique et dépressif – il se suicidera en 1936, à l’âge de 30 ans –, Howard fut un grand lecteur de Spengler, qui agita le débat intellectuel de l’entre-deux-guerres avec son esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle. Le philosophe allemand exposait une vision vitaliste des grandes cultures, soumises, selon lui, aux mêmes cycles et aux mêmes lois que les êtres biologiques : jeunesse, maturation, vieillesse. Encore fasciné par une vision romantique des ruines, Spengler estimait que la civilisation, épiphénomène, était amenée à être régulièrement détruite par des Barbares investis d’une mission : la régénérer. On devine que les nazis surent exploiter pareille vision. Dans ses romans d’heroic fantasy, Howard l’appliqua aussi à son protagoniste, qui à l’origine est bien plus déprimé et inquiet que dans les versions musclées qui furent réécrites après sa mort et portées au cinéma avec Arnold Schwarzenegger dans le rôle-titre. Conan, qui finit par devenir le souverain de la civilisation hyborienne, est parfaitement conscient de sa fin prochaine. Une civilisation qui n’est en fait qu’en sursis, exposée à la menace mortelle des Barbares, état naturel de l’humanité