La nouvelle « reine du crime »
Agatha Raisin sonne le retour du à la Christie, en version décalée. Elle est détestable, vous allez l’adorer.
C’est une quinqua au caractère de chien, une célibataire endurcie qui résout des enquêtes criminelles dans la campagne anglaise sans la bénédiction de la police locale. Elle s’envoie du gin à l’heure du thé, jure comme un charretier, n’a de chatoyant que le brun d’une chevelure qui encadre un « visage quelconque » flanqué de « deux petits yeux d’ours » . Vous tenez la femme qui a fait chavirer le coeur de millions de Britanniques : Agatha Raisin. « Pas les raisins de la colère, mais ceux de l’âge, les rides ! » s’exclame la romancière à qui l’on doit ce méfait, Marion Chesney, alias M. C. Beaton. La dame a signé 160 romans sous 5 noms différents, dont 27 volumes des aventures d’« Agatha Raisin », adaptées aujourd’hui en mini-série pour la chaîne Sky, bientôt diffusée sur France 3, et vendu 15 millions d’exemplaires dans le monde – un record. A 79 ans, Beaton est une légende. On la retrouve dans le village de Broadway, à deux pas de chez elle, dans les Cotswolds. La vie de cette Ecossaise de Glasgow est un roman. Elle a fait ses débuts dans le journalisme, spécialisée dans le razor crime. Elle nous raconte ses nuits en planque dans les bas-fonds de la ville, à suivre le « gang des haches ». Au souvenir d’avoir « prié Dieu et juré d’arrêter de fumer si un taxi (la) sortait de là », elle prend des airs de dragon dans la vapeur de sa cigarette électronique. Elle évoque son installation à New York, à Brooklyn, son empoignade avec un parrain de la pègre : « Je lui ai demandé si j’allais finir dans l’Hudson les pieds coulés dans du béton. Il a éclaté de rire ! “Ça ne se fait plus, a-t-il dit, maintenant on vous enchaîne à un juke-box !” – c’était les années 60. » Elle raconte enfin la crise cardiaque invalidante de son mari, les dix livres qu’elle écrit alors chaque année pour nourrir sa famille. Son créneau ? « Les romans historiques sentimentaux situés dans les années 1800-1820, à la Jane Austen. » Pour en arriver à Agatha. Une anti-héroïne qui en rappelle d’autres : Becky Sharp du « Vanity Fair » de William Makepeace Thackeray, Edina, la brune déjantée de la série « Absolutely Fabulous ». Agatha est une arriviste, snob, qui a sacrifié sa carrière dans la com, à Londres, et rêve d’une retraite au vert carte postale. Elle jette son dévolu sur un cottage du village (fictif) de Carsely, à deux pas du vrai Chipping Campden, envahi par les « yuppies » de Londres. Mais voilà : l’intégration ne se fait pas. Et Agatha, pour tenter de gagner le coeur de la communauté, s’inscrit au concours annuel de tartes. Sauf que la sienne va tuer le voisin, empoisonné à la ciguë. D’où le titre du premier tome, « Quiche of Death » (« Quiche fatale »). Suspect numéro un puis enquêtrice, Agatha n’aura qu’une obsession : « whodunit ? » – Qui l’a fait ? C’est comme si la Miss Marple d’Agatha Christie avait rajeuni, adopté des moeurs de cougar et un humour caustique et mangé de la vache folle – on est en Angleterre… C’est un régal
« Agatha Raisin enquête » : « La quiche fatale » et « Remède de cheval », de M. C. Beaton, traduit de l’anglais par Esther Ménévis (Albin Michel, 324 p. et 270 p., 14 € chaque tome).