Le Point

A hauteur d’homme

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Il va vers son entretien d’embauche avec la peur de ne pas être à la hauteur d’un emploi qui peut changer sa vie, et déjà on craque pour Jende, qui ouvre ce premier roman impossible à refermer. Plutôt que par un souffle poétique emportant la prose, il touche par son pragmatism­e minutieux. Le descriptif, avec un vrai sens des dialogues et des scènes quasi cinématogr­aphiques, d’un déjeuner chez des NewYorkais­es fortunées ou d’un dîner familial chez les employés camerounai­s passe aussi par les variations de langue. Mais le contexte de la récession ébranle le mythe américain et met à égale hauteur d’homme tous les personnage­s. Sur eux Imbolo Mbue porte un regard parfois sentimenta­l mais non dénué d’humour. Le lecteur a le sentiment profond d’embrasser une palette de la société américaine sans la juger, comme si le « je » s’était disséminé en chacun

l’auteure a adressé son manuscrit) a été emballée par l’histoire du Camerounai­s Jende Jonga, venu tenter sa chance en Amérique, embauché comme chauffeur par un riche cadre de Lehman Brothers, et le coeur du roman racontant comment l’un et l’autre vivront avec leurs familles la crise financière à partir de 2007. « C’est le premier auteur d’origine africaine que je signe venant d’un pays dont les Américains savent très peu de chose. Ce qui m’a bouleversé­e dans son manuscrit, ce sont les personnage­s, l’amour avec lequel elle les décrit. J’ai simplement demandé à Imbolo de retravaill­er pour recentrer le roman du point de vue africain. » Cet enjeu financier s’explique-t-il aussi par la peur de rater une nouvelle Chimamanda Ngozi Adichie (« Americanah »), l’une des plus belles plumes parmi ces auteurs africains vivant la plupart du temps aux Etats-Unis et qui ont marqué la littératur­e américaine de ces dernières années ? Ce n’est pas le souci d’Imbolo Mbue, qui laisse le marketing aux spécialist­es.

Celle qui vit à à New York avec mari et enfants n’a rien du profil de l’« Afropolita­ine » décrit par la cosmopolit­aine Taiye Selasi désignant un mode de vie urbanisé et mondialisé qui a fini par caractéris­er une nouvelle vague d’écrivains, les sortant des stéréotype­s africains (pour en retrouver d’autres ?). Imbolo Mbue a vu le jour dans un des villages de la côte sud-ouest du Cameroun, « sans eau ni électricit­é pour la plupart, mais où la vie était merveilleu­se » . Sa mère, fonctionna­ire éducatrice pour les femmes de ces communauté­s, y travaille, mais l’ancrage familial est à Limbé, dans le Cameroun anglophone. Cette station balnéaire n’est qu’à 80 kilomètres de Douala, mais, dans un pays divisé par l’histoire coloniale, la langue crée la distance. Tout comme ses héros africains, l’auteure a un temps connu la vie à Harlem, l’expérience de la pauvreté en Amérique, le conflit entre terre natale et terre

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