Un roman au propergol
De Dresde bombardée au New York des années 60, « Le dernier des nôtres » est le de la rentrée.
Voici un roman comme la France en produit rarement : c’est-à-dire guère français, mais « pulp », d’esprit feuilletoniste et américanotrope. Adélaïde de Clermont-Tonnerre dirige le magazine Point de vue après être passée par l’Ecole normale supérieure. Entre monarchies républicaines et vanités royales, un esprit rendu attentif aux généalogies ne peut qu’explorer les archives du XXe siècle. C’est dans ce mouvement que l’auteure de « Fourrure » (2010) place son nouveau livre.
Nous sommes donc à New York vers la fin des années 60. Un jeune entrepreneur en bâtiment, Werner Zilch, ne sait que ceci de sa propre origine : il est né en 1945, à Dresde, d’une mère agonisante après le bombardement. Adopté par des Américains à la roborative rusticité, il vibre surtout à l’unisson d’un temps où la fierté des filles naît de l’effronterie sexuelle et moins du verrouillage des vertus. C’est la Big Apple d’Andy Warhol et de Jimi Hendrix, hantée par des héroïnes à la Truman Capote en train de glisser vers le style hippie, avec tofu et bols tibétains, châles
à franges et petits matins opiacés. L’héritière dont le jeune Zilch s’est épris, justement, ressemble assez à cette Baby Jane Holzer, qui fut l’une des premières superstars de la faune warholienne : dorée sur tranche et fêlée à l’intérieur. Mais l’insouciant entrepreneur est lui-même troublé lorsqu’il apprend que son père génétique travaillait en 1944 à Peenemünde auprès de Wernher von Braun, alors maître ingénieur des fusées du Reich, plus tard responsable du programme Apollo qui envoya des Américains sur la Lune. Là, on se demande où l’auteure veut en venir. Et c’est ce qui va faire de son livre, comme disent les Anglo-Saxons, un page turner, un roman dont les fausses fenêtres et les rebondissements nous tiennent en haleine jusqu’à l’épilogue heureux – situé dans les Hamptons, tout de même. On louera, chez une romancière française, le souci de ne pas nous infliger le récit de sa vie passionnante, sachant laisser au garage l’auto pour ne garder que la fiction. Adélaïde de Clermont-Tonnerre a dû voir en DVD « Marathon Man », un film réalisé quand de vieux nazis étaient encore en état de nuire à New York. Elle sait qu’il fut un temps où le diable ne s’habillait pas en Prada, mais en feldgrau. Très habilement, l’auteure nous fait aussi sentir l’écart qui sépare deux époques : les années 40 étaient placées sous le signe du tragique et de la liberté, les années 60 y substituèrent l’hédonisme et l’égalité. Cela donne un obus romanesque fort bien tourné, virtuellement calibré pour des traductions, et caréné comme une Maserati Sebring (1965). Que demande le peuple ?
« Le dernier des nôtres », d’Adélaïde de ClermontTonnerre (Grasset, 496 p., 22 €).