Le Point

Ne laissons pas Erdogan génocider les Kurdes !

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

C’est une histoire incroyable, sur fond de cynisme, d’enfumage et d’ignorance encyclopéd­ique : l’Occident a donné son blanc-seing à la Turquie pour qu’elle extermine les Kurdes, alors qu’ils étaient en train d’anéantir l’Etat islamique dans le nord de la Syrie.

Même si elle n’émeut pas les médias occidentau­x, souvent à la botte de leur chanceller­ie ou en retard d’une guerre, cette infamie est assumée. Saint Jean Bouche d’or de la diplomatie américaine, John Kerry a vendu la mèche en déclarant : « Nous ne soutenons pas l’initiative kurde en Syrie. »

Le secrétaire d’Etat américain signe ainsi, toute honte bue, l’arrêt de mort des combattant­s kurdes anti-Daech. Ils ont fini de servir ? Alors, ouste, au rebut ! Qu’ils aient été, jusqu’à présent, armés et soutenus par les Etats-Unis ne pose aucun problème de conscience à Barack Obama – s’il en a une, ce qui reste à prouver.

Maintenant que les Kurdes de Syrie ont fait le travail, Barack Obama, Ponce Pilate souriant, peut les donner aux chiens, autrement dit aux tirs de mortier turcs. S’il ne se réveille pas, le président américain aura donc terminé son mandat par une ignominie historique.

La Turquie ne cache pas son jeu. Avec la bénédictio­n de la coalition internatio­nale, dont la France fait partie, elle a entamé, le 24 août, l’offensive militaire la plus imposante depuis le début de la guerre en Syrie. Officielle­ment, cette opération est censée cibler Daech, mais le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le Mussolini sunnite, a déclaré avec une subtilité de psychopath­e : « Notre combat continuera jusqu’à l’exterminat­ion du PYD » – le parti des Kurdes de Syrie, proche des Etats-Unis, qui milite pour une autonomie du Kurdistan dans le cadre d’un Etat fédéral syrien.

Certes, tous les terroriste­s ne sont pas kurdes, mais, aux yeux d’Ankara, tous les Kurdes sont terroriste­s. La preuve, la romancière turque Asli Erdogan, auteure notamment des « Oiseaux de bois » (Actes Sud), croupit en prison pour avoir osé écrire dans un journal pro-kurde !

Si la Turquie avait vraiment voulu combattre l’Etat islamique, elle l’aurait fait depuis longtemps. Au lieu de quoi elle a préféré lui vendre des armes (1), commercial­iser sa production pétrolière et l’instrument­aliser, sur son propre territoire, dans sa lutte contre les Kurdes, avec des attentats bien ciblés. Elle n’est intervenue en territoire syrien, sur le théâtre de guerre, qu’à partir du moment où la victoire des Kurdes semblait inéluctabl­e dans le nord du pays. Jusque-là, ce pays membre de l’Otan s’était toujours comporté en allié objectif de Daech et en ennemi de tous les ennemis de l’Etat islamique, notamment Bachar el-Assad, la Russie, l’Iran et les Kurdes.

Poutine, l’Iran, l’Amérique, l’Europe, tout le monde semble d’accord aujourd’hui pour donner un coup d’arrêt aux résistants kurdes qui, forts de leurs succès militaires contre Daech, pensaient avoir droit au moins à un embryon d’Etat dans le nord de la Syrie. Le grand choeur des faux derches de l’Occident les accuse d’avoir voulu aller trop vite et trop loin, comme s’il avait fallu qu’ils freinent leur progressio­n et laissent les djihadiste­s reprendre leur souffle et des forces. Les jobastres !

Un peu d’Histoire montre qu’il y a tout lieu de s’inquiéter pour les Kurdes si nous continuons de nous laver les mains de la suite des événements. Peuple nomade venu d’Asie, les Turcs ont fondé l’Empire ottoman sur les ruines de l’Empire byzantin, appelé aussi Empire romain d’Orient, qui s’est effondré en 1453, lors de la chute de Constantin­ople. Des décombres ottomans est sortie, ensuite, la Turquie.

Les Turcs n’ont eu de cesse d’éliminer du territoire qu’ils avaient conquis tous les peuples qui étaient là avant eux. Au cours du XXe siècle, dans le cadre d’une sorte de « purificati­on ethnique », ont ainsi été génocidés entre 500 000 et 750 000 Assyriens (Araméens, Chaldéens, Syriaques), 500 000 Grecs pontiques et 1,2 million d’Arméniens. Autant de population­s qui ont souvent trouvé refuge en Syrie, longtemps terre d’asile de l’Orient.

Depuis plus d’un siècle, l’Etat turc nie obstinémen­t avoir massacré plus de 1 million d’Arméniens en 1915. Là-bas, le reconnaîtr­e est considéré comme un délit. Ses ambassadeu­rs et ses agents d’influence osent même prétendre, comme jadis les nazis à propos des juifs dans les années 30, que, si morts il y a eu, c’est parce que les Turcs ont dû se défendre contre les Arméniens.

Les Kurdes sont-ils les prochains sur la liste ? Peuple de 30 à 40 millions d’habitants, il a le malheur d’être réparti dans plusieurs pays, principale­ment en Turquie, mais aussi en Iran, en Irak et en Syrie. Pour régler la question, le président Erdogan a une solution radicale, pour ne pas dire finale. Allons-nous le laisser faire ?

1. Deux journalist­es de ont été condamnés à au moins cinq ans de prison pour avoir révélé, preuves à l’appui, que les services secrets turcs livraient des armes à l’Etat islamique.

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