L’Etat, ce mauvais fermier
Plus que de la mondialisation, de Bruxelles ou des normes, les agriculteurs français sont d’abord les victimes de l’incompétence publique.
La première percée, diplomatique, concerne la mise en oeuvre de l’accord de Paris. Elle est subordonnée à sa ratification par 55 Etats représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Si 180 Etats l’ont signé, seuls 24 l’avaient ratifié depuis, qui ne totalisent que 1,08 % des émissions. Or la donne vient de changer avec l’annonce, le 3 septembre, par la Chine et les Etats-Unis, du dépôt de leurs instruments de ratification, alors qu’ils sont les deux plus grands émetteurs mondiaux (20 % des émissions pour la Chine et 18 % pour les Etats-Unis). Les deux géants ont ainsi choisi le climat pour afficher leur capacité à coopérer, Barack Obama soignant son bilan écologique et saisissant l’occasion de contrer Donald Trump, tandis que Xi Jinping répond à l’exaspération de la nouvelle classe moyenne chinoise devant la dégradation de ses conditions de vie.
La Chine et les Etats-Unis donnent ainsi un signal majeur qui devrait déboucher sur la ratification de 34 autres pays, dont le Japon (3,8 % des émissions), le Canada, l’Indonésie et l’Iran. Seuls continuent à tarder la Russie (7,5 % des émissions), l’Inde (4,1 %) et… l’Union européenne (10 %). Selon Ban Ki-moon, l’accord de Paris est désormais bien parti pour entrer en vigueur avant la COP22, qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016, soit une application remarquablement rapide.
Pour être réellement efficace, le prix du carbone doit être établi à l’échelle de la planète. L’organisation d’un marché des droits à émettre reste ainsi préférable à la taxation, car le mécanisme est moins manipulable par les Etats et plus facile à universaliser. Or une vingtaine de systèmes de marchés carbone ont été mis en place, couvrant environ 12 % des émissions, ce qui constitue un premier pas positif.
Le changement le plus rapide vient cependant des acteurs économiques. Sous la pression des autorités et des consommateurs, les entreprises se sont converties à la transition énergétique. Une rupture décisive se dessine dans les investissements du secteur de l’énergie. Certes, la Chine a encore autorisé cette année la construction de 150 centrales électriques, mais les investissements dans les renouvelables ont atteint 286 milliards de dollars en 2015 – dont 103 milliards pour la Chine –, au moment où ceux de l’industrie pétrolière diminuaient de moitié. Les coûts des installations solaires ont chuté de 80 % depuis 2009 et baisseront à nouveau de 60 % d’ici à 2025. Dans le même temps, les technologies propres enregistrent des progrès spectaculaires dans les secteurs clés de l’énergie, des transports et de la construction. Enfin, 170 grandes entreprises ont déjà pris l’engagement de réduire leurs émissions de 2° C tandis que le secteur financier a entrepris de mettre en place un système de mesure et de contrôle du risque climat.
La dynamique de la transition écologique de la planète a bien été lancée par la COP21. Elle a pour moteur les entreprises et les marchés. Mais ceux-ci agissent sous la pression des pouvoirs publics et des citoyens. Voilà pourquoi il faut continuer à plaider pour un prix mondial du carbone et pour la suppression des subventions à la consommation d’énergie en échange d’une baisse des prélèvements sur le travail et d’une aide des pays développés à la transition écologique des pays émergents. Voilà pourquoi il est hautement souhaitable que le G20, qui représente 85 % du PIB de la planète et 75 % des échanges commerciaux, se saisisse de la question du climat. Voilà pourquoi les citoyens doivent se mobiliser pour que l’environnement, qu’il s’agisse de l’atmosphère ou des océans, soit reconnu et protégé comme le premier des biens communs de l’humanité L ’actualité
agricole a bien servi, en août, les JT de 13 heures de TF1, qui ont trouvé, avec la crise des producteurs laitiers et la flambée du prix des fruits et légumes, deux nouveaux thèmes de reportages au coeur des campagnes. On a ainsi pu voir un producteur de fraises de Bretagne, tout sourire, justifier l’envolée du prix du kilo de la gariguette (+ 36,6 % sur un an, selon l’association de consommateurs Familles rurales) par le printemps pluvieux. On a surtout été émus par le témoignage d’un jeune éleveur mayennais surendetté, au bord des larmes et de la faillite, confronté à la chute des cours du lait pour cause de surproduction et de baisse de la demande en provenance de Chine.
Dans un contexte d’inflation zéro et de stabilité des prix et des salaires, les brusques variations de revenus que connaît le monde agricole suffisent à en faire un secteur à part. En 2014, par exemple, le revenu des arboriculteurs fruitiers avait plongé de 56 %, mais il avait augmenté de 46 % en 2012. Aucun autre secteur de l’économie ne subit de façon plus visible et plus brutale la loi du marché, de l’offre et de la demande, ou n’est exposé à autant d’aléas, qui vont de la grêle au ralentissement de la croissance asiatique en passant par les tensions diplomatiques avec la Russie.
D’où, chez les agriculteurs, un sentiment d’insécurité économique en décalage avec une France où 90 % des travailleurs sont salariés et disposent de revenus fixes. D’où aussi cette impression d’être des citoyens un peu à part, au train de vie modeste, mais au patrimoine trois fois plus élevé que la moyenne des Français (260 000 euros, contre 86 600). Qui ne connaissent ni les 35 heures ni les vacances, et vivent en marge d’une société hyperurbanisée les considérant de plus en plus comme des bêtes curieuses aux moeurs suffisamment étranges pour expliquer le succès d’une émission comme « L’amour est dans le pré ».
Le malaise des agriculteurs va bien au-delà de leur fragilité financière ; il est aussi sociétal. Il vient également du caractère hybride de leur statut, celui d’une profession historiquement et authentiquement indépendante et libérale, mais qui vit sous perfusion, à haute dose, de subventions et d’argent public. Selon une étude du Conseil d’analyse économique (CAE), les aides publiques à l’agriculture française dépassent chaque année 10 milliards d’euros, soit en moyenne environ 30 000 euros de transferts directs pour chacune des 320 000 exploitations. En 2013, elles représentaient pour une exploitation moyenne 84 % du revenu, avec des pointes à 169 % dans le secteur bovins-viande et à 198 % dans celui des ovins-caprins.
Le taux de pauvreté chez les paysans est deux fois plus élevé que dans la population.