Le dernier opéra de Wassyl Slipak
Ce chanteur au talent fou a pris les armes pour se battre dans le Donbass. Avant de mourir sous les balles. Portrait d’un « héros » slave.
Il est 5 heures, l’aube pointe au-dessus des champs du Donbass. Wassyl Slipak, 41 ans, achève sa garde et regagne sa tranchée. Soudain, des détonations retentissent. Il fonce vers sa mitrailleuse et se faufile à l’avant. Les tirs s’intensifient. Il est à son poste, celui qu’il a choisi. Et il arrose les positions ennemies. Une heure plus tard, il s’effondre, atteint de deux balles de 12,7 mm. L’une a touché son artère fémorale, l’autre son ventre, après avoir transpercé son gilet pare-balles. Un homme s’apprête à lui porter secours, mais il tombe, atteint à son tour. Le médecin du bataillon rampe enfin jusqu’à lui. Il ne voit pas immédiatement sa blessure au ventre. Il tente de soigner sa jambe. Wassyl ne prononce aucun mot et perd connaissance. Il meurt quelques minutes plus tard, au milieu des combats.
Nous sommes le 29 juin dans l’est de l’Ukraine, sur la ligne de front, à une cinquantaine de kilomètres de Donetsk. La guerre russo-ukrainienne a coûté la vie à 9 500 personnes. Ce jour-là, elle emporte celle d’un chanteur de l’Opéra de Paris. Un artiste ukrainien maîtrisant sept langues, arrivé en France à l’âge de 22 ans et qui avait décidé de tout lâcher pour rejoindre les volontaires de son pays. « C’est mon choix » , dit-il devant la caméra, une semaine avant sa mort, accroupi dans une tranchée, près d’une arme lourde, cigarette à la main.
« Quand j’ai appris son projet, j’ai eu envie de déchirer son passeport » , raconte Guillaume Dussau, un chanteur d’opéra avec qui il a partagé les plus grands répertoires. Car Wassyl Slipak, c’est d’abord une voix... et un colosse de 1,94 mètre. « Une étendue vocale exceptionnelle » , souligne Alain Martin, l’un des régisseurs de l’Opéra Bastille. « Le meilleur parmi ma centaine de chanteurs » , ajoute Jean-Paul Maurel, le directeur des restaurants Bel Canto, où se produisent à Paris les spécialistes de l’art lyrique.
Ses interprétations ? « Faust », de Gounod, « La flûte enchantée », de Mozart, « Aïda », de Verdi, « Les contes d’Hoffmann », d’Offenbach, « Carmen », de Bizet… Des rôles où il se sait au centre de la scène et qui « déchirent sa race », selon sa propre expression.
Hard rock. Le parcours de Wassyl Slipak commence à Lviv, sa ville natale, dans l’ouest de l’Ukraine. Sa mère détecte ses dons et l’encourage à rejoindre le choeur national des garçons baptisé Dudaryk, une école réputée. L’adolescent se consacre alors entièrement au chant. Quitte à négliger ses études. « Sa voix était si belle qu’on a pensé l’envoyer à Londres » , dit son ancienne professeure Stefania Pavlichine. Fi n a l e ment , c ’ e s t Pa r i s q u i l’accueillera. L’opportunité ? Elle vient de son frère aîné, Orest, médecin de formation. Au milieu des années 90, ce dernier décide de se rendre à un congrès de