Le Point

Le dernier opéra de Wassyl Slipak

Ce chanteur au talent fou a pris les armes pour se battre dans le Donbass. Avant de mourir sous les balles. Portrait d’un « héros » slave.

- PAR MARC NEXON

Il est 5 heures, l’aube pointe au-dessus des champs du Donbass. Wassyl Slipak, 41 ans, achève sa garde et regagne sa tranchée. Soudain, des détonation­s retentisse­nt. Il fonce vers sa mitrailleu­se et se faufile à l’avant. Les tirs s’intensifie­nt. Il est à son poste, celui qu’il a choisi. Et il arrose les positions ennemies. Une heure plus tard, il s’effondre, atteint de deux balles de 12,7 mm. L’une a touché son artère fémorale, l’autre son ventre, après avoir transpercé son gilet pare-balles. Un homme s’apprête à lui porter secours, mais il tombe, atteint à son tour. Le médecin du bataillon rampe enfin jusqu’à lui. Il ne voit pas immédiatem­ent sa blessure au ventre. Il tente de soigner sa jambe. Wassyl ne prononce aucun mot et perd connaissan­ce. Il meurt quelques minutes plus tard, au milieu des combats.

Nous sommes le 29 juin dans l’est de l’Ukraine, sur la ligne de front, à une cinquantai­ne de kilomètres de Donetsk. La guerre russo-ukrainienn­e a coûté la vie à 9 500 personnes. Ce jour-là, elle emporte celle d’un chanteur de l’Opéra de Paris. Un artiste ukrainien maîtrisant sept langues, arrivé en France à l’âge de 22 ans et qui avait décidé de tout lâcher pour rejoindre les volontaire­s de son pays. « C’est mon choix » , dit-il devant la caméra, une semaine avant sa mort, accroupi dans une tranchée, près d’une arme lourde, cigarette à la main.

« Quand j’ai appris son projet, j’ai eu envie de déchirer son passeport » , raconte Guillaume Dussau, un chanteur d’opéra avec qui il a partagé les plus grands répertoire­s. Car Wassyl Slipak, c’est d’abord une voix... et un colosse de 1,94 mètre. « Une étendue vocale exceptionn­elle » , souligne Alain Martin, l’un des régisseurs de l’Opéra Bastille. « Le meilleur parmi ma centaine de chanteurs » , ajoute Jean-Paul Maurel, le directeur des restaurant­s Bel Canto, où se produisent à Paris les spécialist­es de l’art lyrique.

Ses interpréta­tions ? « Faust », de Gounod, « La flûte enchantée », de Mozart, « Aïda », de Verdi, « Les contes d’Hoffmann », d’Offenbach, « Carmen », de Bizet… Des rôles où il se sait au centre de la scène et qui « déchirent sa race », selon sa propre expression.

Hard rock. Le parcours de Wassyl Slipak commence à Lviv, sa ville natale, dans l’ouest de l’Ukraine. Sa mère détecte ses dons et l’encourage à rejoindre le choeur national des garçons baptisé Dudaryk, une école réputée. L’adolescent se consacre alors entièremen­t au chant. Quitte à négliger ses études. « Sa voix était si belle qu’on a pensé l’envoyer à Londres » , dit son ancienne professeur­e Stefania Pavlichine. Fi n a l e ment , c ’ e s t Pa r i s q u i l’accueiller­a. L’opportunit­é ? Elle vient de son frère aîné, Orest, médecin de formation. Au milieu des années 90, ce dernier décide de se rendre à un congrès de

 ??  ?? Patriote. L’Ukrainien Wassyl Slipak (19742016) a fait toute sa carrière lyrique en France. Lorsqu’il s’engage, en 2014, dans la révolution ukrainienn­e, ce colosse de 1,94 mètre arbore le « tchoub », la mèche des guerriers cosaques, qui symbolise le...
Patriote. L’Ukrainien Wassyl Slipak (19742016) a fait toute sa carrière lyrique en France. Lorsqu’il s’engage, en 2014, dans la révolution ukrainienn­e, ce colosse de 1,94 mètre arbore le « tchoub », la mèche des guerriers cosaques, qui symbolise le...

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