Le Point

Une guerre sans fin

- R. G.

Ces deux dernières années, la guerre en Syrie et en Irak, avec ses 300 000 victimes, a éclipsé le conflit entre la Russie et l’Ukraine, qui n’a causé « que » 9 500 morts en trois ans et demi (dont des centaines de civils). Malgré les accords de Minsk (février 2015) et les sanctions économique­s décidées par l’Union européenne et les Etats-Unis, les combats n’ont jamais cessé. Cet été, la Russie, qui n’apporte officielle­ment (la réalité est tout autre) que de l’aide humanitair­e et son soutien logistique aux rebelles prorusses qui contrôlent une grande partie de la région du Donbass, a lancé de gigantesqu­es exercices militaires dans la zone frontalièr­e avec l’Ukraine et la péninsule annexée de Crimée. Histoire de faire comprendre qu’elle est prête à je te paie le loyer ? -– Qu’est-ce que je pouvais répondre ? dit ce dernier. Il a acheté son gilet. » Et Wassyl en est fier. « Je vais faire des envieux parmi les gars » , écrit-il.

Le jour de son départ pour le front, il réveille son frère à 5 heures du matin. « Il était dans une tenue militaire impeccable, il avait préparé son dernier rôle » , raconte Orest. Cette fois, les deux frères ne s’embrassent pas mais se tapent dans la main. « Tiens bon » , lui dit Wassyl. De retour dans son appartemen­t, Orest découvre l’ordinateur de son frère caché sous un journal. Jusqu’ici, il ne s’en séparait jamais.

Un jour et demi avant l’attaque, Orest communique avec Wassyl sur Facebook. « – C’est sécurisé là où tu es ? – Tout est calme, on creuse et on renforce nos positions. – Qu’est-ce que je dis aux parents ? – Que j’aide les volontaire­s. tout. Les Ukrainiens ne sont pas en reste. Leur gouverneme­nt est en crise permanente, l’Etat est plus faible que jamais et les querelles incessante­s entre les durs qui ne veulent rien céder à Moscou et ceux qui voudraient négocier avec les rebelles prorusses. Il y a quelques semaines, un ministre ukrainien a même affirmé que, en cas de – Tu reviens quand ? – Début août. » Dans une vidéo, il paraît serein. Il recharge sa kalachniko­v en y glissant les balles une à une. On entend au loin le bruit des bombes, et Wassyl fredonne une chanson ukrainienn­e intitulée « La lune dans le ciel » : « La barque avance doucement avec une jeune femme à bord, et quand il l’entend chanter son coeur se met à battre. »

Peu après sa mort, la télévision russe a présenté un homme. Il s’appelle Denis Efremenko et prétend être le sniper qui a tué Wassyl à 500 mètres de distance. « Ça tirait tellement que nos gars ne pouvaient pas relever la tête, dit-il, cagoulé et camouflé sous des feuillages. Alors, j’ai mis en joue le type à la mitrailleu­se pour le descendre. »

En Ukraine, c’est la stupeur. A Lviv, 15 000 personnes participen­t aux funéraille­s de Wassyl. Le guerre directe entre les deux pays, la Russie perdrait 20 000 soldats en mettant en avant les livraisons de matériel militaire reçu par Kiev de plusieurs pays d’Europe centrale. Les négociateu­rs français et allemands (Paris et Berlin sont les « parrains » des accords de Minsk) sont consternés par « l’absence de confiance entre les deux parties ». Même chose chez les émissaires de l’Onu sur place, qui estiment que, dans les deux camps, personne ne cherche réellement à mettre fin à ce conflit. Parallèlem­ent, les deux pays multiplien­t les procès devant les tribunaux internatio­naux: la Russie veut récupérer plus de 40 milliards de dollars d’impayés ukrainiens et Kiev, qui ne reconnaît pas l’annexion de la Crimée, multiplie les recours

A La Frette-sur-Seine, où Wassyl habitait, iI y a encore sur les cintres ses costumes et sa cape noire avec laquelle il incarnait la mort.

pouvoir aussi lui rend hommage. Le président, Petro Porochenko, lui décerne la médaille du Courage à titre posthume et s’engage désormais à reconnaîtr­e le rôle des volontaire­s, dont les pertes sont rarement comptabili­sées. Mais, sur le terrain, les combats continuent.

A La Frette-sur-Seine, en banlieue parisienne, Evgueni parcourt le rez-de-chaussée de sa maison. C’est là que Wassyl habitait. Trois pièces basses de plafond dans lesquelles le chanteur paraissait géant. Il y a encore sur les cintres ses costumes et sa cape noire, qu’il portait pour incarner la mort. Sur une étagère, plusieurs livrets de Mozart et, sur le radiateur, un poignard avec des douilles d’obus. Accrochée au miroir de la salle de bains, une goupille de grenade accompagné­e d’une croix et, sur le frigo, une inscriptio­n : « L’Ukraine par-dessus tout ». Evgueni rassemble à présent ces affaires et les entasse dans des cartons. Il tombe sur une paire de rangers pointure 46 et sur une montre grosse comme quatre doigts. Il soupire : « Chez lui, tout était énorme, mais son talent l’a détruit. »

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