Le Point

C’est le plus vieil escroc en liberté

A 83 ans, Roger* est toujours en activité. Et il se porte comme un charme. Nous l’avons retrouvé.

- PAR CLÉMENT PÉTREAULT

Roger* a 83 ans. Il possède une paire de pantoufles confortabl­es, un pyjama en coton brossé et une honorable collection de médicament­s. Tous les matins, il chausse d’épaisses lunettes e t r e mplit métic ul e us e ment quatre grilles de sudoku, muni d’un stylo à bille rouge. Puis il s’installe dans son canapé pour regarder des jeux télévisés. Le vendredi, il s’en va au marché et profite, lorsque la météo le permet, d’un café en terrasse. Une vie ordinaire de senior. Seulement, Roger est un escroc. Pas un petit escroc du dimanche, non, un véritable escroc profession­nel, avec une interminab­le carrière : trente procès et quarante années passées derrière des barreaux n’auront pas suffi à le faire renoncer à ses démons. Ces dernières années, il s’est un peu assagi. Il dégaine bien un chéquier volé de temps en temps, mais rien d’aussi flamboyant qu’à la grande époque. Il jure que ce n’est pas l’argent qui le motive. « Si je m’arrête, je dépéris », confie l’octogénair­e, coiffé de sa perruque des grands jours. Entre deux séjours en prison, il nous reçoit dans un modeste pavillon du sud de la France. Dans la petite ville où il réside, personne ne connaît ses exploits, car « le renard ne chasse jamais autour de son terrier » , philosophe le doyen des arnaqueurs. Vouer sa vie au crime est une ascèse quotidienn­e : « Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne joue pas, je me couche tôt. Mais j’aime l’adrénaline » , confesse Roger, laissant entrevoir un sourire tout neuf, d’une blancheur immaculée. Quand il n’est pas en prison, il s’en va retrouver des « amis » – un groupe d’une dizaine de papys flingueurs âgés de 75 à 83 ans –, gouailleur­s comme des personnage­s d’Audiard. Ils se remémorent leurs années fastes et préparent quelques coups tordus dont ils ont le secret. S’ils ont tous raccroché pieds-de-biche, calibres et chalumeaux, il jouent encore du stylo pour quelques arnaques à la banque. Certaines retraites sont tout simplement impossible­s à prendre.

Roger est fidèle en amitié. « J’ai tout de suite vu que c’était un bandit correct et qu’il n’était pas de gauche », se souvient son camarade le comte Michel-Roch Faci, ancien collection­neur d’objets du IIIe Reich à la carrière un rien trouble. Les deux hommes se sont rencontrés à la fin des années 80 par l’intermédia­ire d’un ami commun, proxénète de son état. « Roger est doué, poursuit l’aristocrat­e autoprocla­mé. Lorsqu’il ne répond pas au téléphone pendant plusieurs jours, c’est qu’il est en taule. Alors, on appelle sa soeur, Mme Dédée, qui nous donne le nom de son avocat du moment. » La petite soeur en question, 71 printemps, est toujours présente auprès de ce frère turbulent, qu’elle considère comme un éternel gamin : « D’ailleurs, il a bu du lait à table jusqu’à l’âge de 20 ans », se rappelle-t-elle. Roger lui en a fait baver, à elle et à toute la famille. Et ce n’est pas fini. Tous savent très bien que Roger ne s’arrêtera qu’une fois dans son cercueil.

Premiers délits. On ne met pas un terme à une carrière entamée il y a près de soixante ans. D’abord comme cambrioleu­r voltigeur, se faufilant dans des appartemen­ts par les escaliers de service ou par les façades. Puis comme braqueur en série, déguisé en faux postier ou en faux employé du gaz, selon son humeur. Enfin comme arnaqueur à la banque. C’est après une longue peine de prison, et le bac en poche, qu’il s’est spécialisé dans des coups moins dangereux et plus « haut de gamme ». Sa méthode est plutôt bien rodée. Il rachète des carnets de chèques volés dans des centres postaux,

Quand il n’est pas en prison, il prépare des coups tordus avec des « amis » – un groupe de papys flingueurs âgés de 75 à 83 ans.

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