Le Point

Emmanuel Faye : « Il importe de prêter attention aux sources nazies des écrits d’Arendt »

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROGER-POL DROIT

Le Point : La figure de Hannah Arendt, son oeuvre, et même sa personne, ont fini par faire l’objet d’une sorte de culte. Pourquoi et comment ? Emmanuel Faye :

La renommée d’Arendt est indissocia­ble de son compagnonn­age avec Heidegger et du scandale suscité par son « Eichmann à Jérusalem ». En tant que juive, Arendt a servi utilement de caution à Heidegger : selon le mot de Barbara Cassin, « on y trouvait Heidegger sans Heidegger ». En outre, la dégermanis­ation du nazisme et la volonté d’exonérer de toute responsabi­lité les intellectu­els les plus en vue du régime – comme Martin Heidegger, auteur en 1933 d’une « Profession de foi envers Adolf Hitler », le juriste Carl Schmitt, qui écrivit en 1935 une justificat­ion des lois raciales de Nuremberg, ou le sociologue Arnold Gehlen, Emmanuel Faye Philosophe qui a développé en 1940 une conception raciale de l’homme – ont contribué au succès d’Arendt en Allemagne, qui a accompagné la réhabilita­tion intellectu­elle de ces auteurs nazis (y compris Heidegger). En France, Hannah Arendt a remplacé, dans la théorie politique, la référence à Marx, sans que l’on ait suffisamme­nt discerné les dimensions inégalitai­res et déshumanis­antes de ses thèses.

Comment expliquez-vous que les commentate­urs et exégètes n’aient pas vu ces aspects ?

Les historiens, comme Raul Hilberg, auteur de « La destructio­n des juifs d’Europe », ou Ian Kershaw, qui a écrit sur Hitler une biographie de référence, ont toujours été très critiques à l’égard des travaux d’Arendt. C’est dans la théorie politique, les études culturelle­s puis chez les philosophe­s eux-mêmes que sa renommée n’a cessé de croître à la faveur de lectures trop

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France