Une dope, un Reich, un Führer !
L’Allemagne nazie aurait été massivement sous emprise chimique. C’est la thèse troublante de Norman Ohler.
En même temps que les djihadistes qui semaient la mort au Bataclan, la France, l’an dernier, a découvert le Captagon. Une drogue insensibilisante qu’ils ingéraient pour ne plus être soumis à l’empathie ni à la compassion. Dope et violence extrême : le tandem infernal n’est pas nouveau dans l’Histoire, comme le raconte « L’extase totale », du journaliste allemand Norman Ohler. En avril 1940, la Wehrmacht passa commande de 35 millions de doses d’une pilule miracle qui fut distribuée aux soldats prêts à se ruer sur les Ardennes. L’objectif ? Conquérir Sedan en soixante-douze heures. Boucler l’opération sans dormir pour prendre les Français de vitesse. Ce fut l’apogée du Blitzkrieg. Cette pilule était bien connue des civils allemands, qui la consommaient depuis 1937 : la pervitine. Une méthamphétamine que les usines Temmler, au sud-est de Berlin, avaient synthétisée grâce au Dr Hauschild – qui mit en place, après guerre, un programme de dopage pour les sportifs de RDA.
La thèse d’Ohler est simple, mais efficace : l’adhésion du peuple allemand au nazisme ne fut pas seulement idéologique, mais chimique. La population en croqua pour tenir le pari des défis productivistes auquel elle était soumise. Les militaires aussi, pour mener des offensives foudroyantes qui nécessitaient éveil, concentration, désinhibition et perte du sens du danger. Et, enfin, le sommet de la hiérarchie, à commencer par Hitler, que son médecin très particulier, le Dr Theodor Morell, bourra à sa demande d’Eukodal et de cocktails vitaminés afin qu’il tienne la barre jusqu’au bout. Ce n’était plus « Ein Volk, ein Reich, ein Führer ! », mais « Une dope, un dealer, un camé ! ».
« Pharmakon valley ». Norman Ohler a raison de rappeler que l’Allemagne, dans les années 30, était déjà une pharmakon valley. La morphine y avait été synthétisée dès le début du XIX siècle, puis l’aspirine et l’héroïne, en 1897, par les laboratoires Bayer, avant que le groupe pharmaceutique Merck fasse main basse sur le raffinage de la cocaïne dans le monde. L’autre intérêt du travail d’Ohler, qui a fait des vagues outre-Rhin, est de braquer les projecteurs sur le docteur Mabuse de la Wehrmacht, le professeur Otto Ranke, directeur de l’Institut de physiologie générale et de la défense à l’Académie de médecine militaire à Berlin. C’est lui qui saisit, dès 1938, le potentiel militaire de la pervitine, qu’il fait tester par des dizaines de soldats. Le premier usage massif