Albert, ce magnifique
A lbert
Cohen a immortalisé les « Valeureux », les cinq cousins Solal de Céphalonie. Michel Boujenah s’est gentiment moqué des « Magnifiques », les juifs francotunisiens. Aujourd’hui, la journaliste Brigitte Benkemoun (déjà auteur d’un très beau livre sur l’Algérie, « La petite fille sur la photo », Fayard, 2012) raconte son Valeureux, son Magnifique à elle : Albert, un arrière-grand-oncle juif d’Algérie installé en France. Mais rien de burlesque ici. « Albert le Magnifique » est une histoire extraordinaire qui s’achève dans l’horreur – à Auschwitz.
Cet homme qu’elle n’a jamais connu, l’auteur l’aime depuis l’enfance, au travers des récits approximatifs de sa grand-mère. Albert le bijoutier est un de ses héros. Elle sait l’aventurier qui a l’audace de tout quitter, l’ambitieux qui rencontre un certain « Monsieur Roux », « un diamantaire de Monte-Carlo », la vie somptueuse entre Paris et Nice. Et aussi l a d é nonci a t i o n, Dra nc y, l e convoi 62. Des années plus tard, le 7 janvier 2015, par un étrange hasard, elle a cherché son nom d’Albert Achache au Mémorial de la Shoah, et elle ne l’a pas trouvé. Ou plutôt, si, mais sous le nom d’Achache-Roux. « Monsieur Roux », le délateur présumé, était son père adoptif !
Débute alors une quête qui va mener Brigitte Benkemoun à consulter des tonnes d’archives, à courir de la rue « Lorbiron » (pour «Lord-Byron») de Sidi Bel Abbes à l’ancienne villa « Mon caprice » à Nice, d’Oran à Anvers et Vitré. Le livre suit le cours de l’enquête – Histoire, portraits et autobiographie s’y mêlant impeccablement. En cas de doute, la narratrice se « réfugie » chez le Modiano de « Dora Bruder », modèle, entre autres, d’ « obstination ».
Pour Albert, Brigitte, « la laïque, l’ignorante, la mécréante », se familiarise avec les coutumes et les rites des juifs autochtones d’Algérie. Un monde surgit, avec ses traditions et ses tragédies, les suites du décret Crémieux, la volonté d’assimilation et la crise antijuive. « Marche comme les riches », disait-on aux enfants. Ensuite viendront les tranchées de la Grande Guerre, puis le Nice des Années folles, ses casinos, ses escrocs et ses dingos. Au chapitre 9 (sur 42), elle a découvert le secret d’Albert : l’homosexualité. Elle met au jour des vies enfouies, compliquées – honte, humiliations –, et puis, enfin, Albert libre, heureux. Avant l’ignominie. On est, littéralement, captivé. Et touché de voir l’auteur accepter l’héritage de son héros en lui élevant ce fascinant tombeau « Albert le Magnifique », de Brigitte Benkemoun (Stock, 304 p., 19,50 €).