Le petit Damon de la pensée
Sociologue attentif à la vie des idées, Julien Damon publie « 100 penseurs de la société » (PUF). Un panorama personnel et éclectique de l’histoire intellectuelle.
Fait-on plus gourmand des idées que cet homme-là ? Dans l’austère paysage des sciences humaines, Julien Damon évolue tel un ogre rieur. Professeur associé à Sciences po, auteur de nombreux livres indispensables sur la pauvreté, la ville, la politique familiale, cet esprit éclectique est un infatigable défricheur de concepts et de pensées. Chaque lundi, sur le site Internet du Point, il pêche une bonne idée dans l’océan des revues et des think tanks et l’explique avec un sens rare de la pédagogie. Ce souci d’éclairer, sans oeillères idéologiques ni pédanterie, anime son dernier livre, « 100 penseurs de la société » (PUF). D’Alain à Donald Winnicott, en passant par Gary Becker, Raymond Boudon, Françoise Dolto, Charles de Gaulle, Friedrich Hayek, Hans Jonas, Primo Levi, Charles Maurras, Steven Pinker ou Philippe Van Parijs, Julien Damon entraîne le lecteur dans un inattendu voyage autour de la terre pensante petite-bourgeoise (si si…) et par les libéraux comme attentatoire aux libertés, la doctrine de Bourgeois, inscrite entre l’individualisme libéral et le socialisme révolutionnaire, va considérablement inspirer la philosophie sociale de la IIIe République. Ancêtre, en quelque sorte, d’une « troisième voie », synthétisant et débordant à la fois le socialisme et le libéralisme, ce théoricien à l’oeuvre et aux actes plus que notables était féru de sociologie naissante et de balisage juridique pour une protection de ce qu’il baptisait une « société de semblables ».
Jacques Delors : l’Europe, un « devoir historique »
Dans un contexte historique passionnant – chute du mur de Berlin, notamment –, il ne s’est jamais trop intéressé au bouillonnement de l’actualité, mais plutôt aux grands projets « donneurs de sens » dans un monde tendu entre global et local, entre tradition et modernité, entre court et long terme, entre matériel et spirituel. Ses convictions sociales, sa vision humaniste de la personne, sa foi chrétienne (il a toujours refusé de mettre son « catholicisme en bandoulière ») , son souci de démocratie et de cohésion sociale l’accompagnent dans un dessein particulier, celui du « devoir historique » de voir se réaliser l’Europe.
Julien Freund, l’essence du politique
Instituteur devenu professeur d’université, résistant devenu suspect de compromissions ultradroitières, Julien Freund (1921-1993) a connu un parcours atypique, ponctué de polémiques. Ce penseur du politique estimait d’ailleurs que « dire d’une chose qu’elle est politique, c’est dire qu’elle est polémique » . Freund a développé une théorie des essences, conçues comme les principes qui organisent les sphères de l’activité humaine. Elles ont, à ce titre, une logique et une activité propres. Et le politique en fait partie. Le grand apport de Freund est d’avoir souligné l’existence du politique, c’est-à- dire son essence autonome à l’égard de l’économique, de la morale et du religieux. Le politique préexiste. Il n’est pas contrat et ne découle pas de conventions passées. Les Etats, les administrations, les Constitutions, les fonctionnaires passent. Le politique demeure.
« Illich invite à une “déscolarisation” de la société pour permettre l’accès à la culture et à la connaissance pour tous. »