Les mystères du tonneau
Les secrets de l’élevage du vin révélés par Nicolas Vivas, spécialiste ès barriques.
On le sait : la barrique, le fût, la pièce, le foudre, le demi-muid, le boute provençal ou la feuillette chablisienne… le tonneau sous toutes ses formes et tous ses contenus s’inventa tout d’abord comme récipient de transport.
Par la suite, chaque région ayant adopté, par le biais des tonneliers et en fonction des besoins, des fûts adaptés aux nécessités locales, il devint outil de vinification puis d’élevage du vin. A quel moment s’est-on aperçu du bienfait du bois sur la qualité du vin ? Comment cette notion d’élevage, que le philosophe Michel Onfray compare à l’éducation, a-t-elle prospéré, et que sait-on aujourd’hui de l’apport du bois ? Le point avec Nicolas Vivas, technicien et chercheur, auteur entre autres d’un « Manuel de tonnellerie à l’usage des utilisateurs de futaille », aux éditions Féret ; il passe pour être le meilleur spécialiste du rapport entre vin et merrains. (qu’ils avaient perdu le gaz carbonique, le pétillement dû à la fermentation). On aimait ces couleurs d’évolution un peu évanescentes. C’était dû au fait que la barrique perdait un peu de vin par évaporation, qu’il y avait un creux et que ce creux favorisait l’oxydation. Alors on s’est aperçu que les barriques étaient un facteur d’oxydation bien avant qu’on comprenne qu’elles participaient aussi à l’aromatisation. Les barriques étaient chauffées afin de pouvoir cintrer les douelles (les éléments qui forment les parois du fût). Après, on faisait une « recuisson » pour que ces douelles ne cassent pas. Cela durait une grosse dizaine de minutes. Mais on n’avait pas mesuré l’influence de ce temps de chauffe et de son intensité sur l’arôme. Le brûlage comme apport associé n’est venu que dans les années 50. Les tonneliers, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, disposaient de moins de bois. Ils le laissaient sécher moins longtemps et, pour couvrir le goût de verdeur et d’amertume, pratiquaient un brûlage plus important. On appelle cela le toastage. Le bousinage, c’est la chauffe plus longue. Entre les années 60 et 70, c’est donc un nouveau paramètre qui a été introduit dans le choix de la barrique. Avant, on ne choisissait quasiment rien ; c’était une bonne barrique, point. Nicolas Vivas, chercheur. Dernier ouvrage paru : « Manuel de tonnellerie à l’usage des utilisateurs de futaille » (Féret).
Le Point : Comment devient-on spécialiste ès tonneaux, hasard ou vocation ? Nicolas Vivas :
J’ai d’abord suivi une formation de technicien dans le vin, et après des études d’oenologie j’ai commencé une carrière scientifique, une thèse de doctorat. Je travaille toujours avec les gens qui ont financé mes études. Je suis responsable recherche et développement chez le tonnelier Demptos depuis vingt-six ans. La famille François, des tonneliers bien connus en Bourgogne, a racheté alors Demptos à Bordeaux. Ils connaissaient très bien la Bourgogne et pas du tout Bordeaux, et ils voulaient arriver en offrant quelque chose de plus à leurs clients. Ils sont allés à la faculté se renseigner, savoir si quelqu’un travaillait sur ce sujet, et c’est comme cela que j’ai rencontré Jérôme François, six mois avant d’être diplômé. Cela fait donc vingt-six ans…
A quelle époque s’est-on aperçu que le tonneau n’était pas seulement un contenant mais qu’il jouait aussi un rôle dans la qualité du vin ?
Très tôt. Les barriques étaient faites pour transporter les vins. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ils étaient mis en bouteille seulement à l’arrivée dans les ports hollandais et anglais. On s’est alors rendu compte que les vins avaient une jolie couleur qui pouvait ressembler à l’ambre et qu’ils étaient décarboniqués
C’est-à-dire que, dans le bois, le vin bouge grâce au contact avec l’air mais, aussi, qu’il emprunte des arômes au bois lui-même ? Un nouveau départ pour la tonnellerie française. Désormais, on connaît beaucoup de choses…
On ne sait pas tout, mais on a une idée assez précise de ce qu’on ne sait pas. Par exemple, on s’est rendu compte que la barrique, au cours de la chauffe, effectuait ce qu’on appelle la réaction de Maillard, qu’on connaît bien dans le pain : l’odeur de pain grillé quand on se sert du grille-pain, des composés bruns qui vont fabriquer une multitude d’arômes. On ne sait pas encore tous les nommer. On sait aussi que, si l’on fait de la chauffe forte pour des vins de qualité, on développe des caractères pierreux, cendreux, mais on ne sait pas pourquoi. On ne connaît pas les systèmes qui mènent au développement de ces molécules et on ne connaît pas ces molécules. On a devant nous un champ d’investigation qui va nous permettre d’aller plus loin dans la connaissance et le respect du vin et de son élevage.