Le courage, cette anomalie
Le danger, à se poser en arbitre des habiletés, est d’en venir parfois à faire l’éloge du cynisme. C’est ainsi que, de l’avis de beaucoup de commentateurs politiques, Angela Merkel a, avec son « bienvenue » lancé l’an dernier aux réfugiés, provoqué elle-même ses malheurs électoraux et l’essor de l’AfD, parti populiste et xénophobe. Mais faut-il l’en blâmer pour autant ? « Je suis aussi responsable », a admis la chancelière, qui a pourtant maintenu fermement sa position. Les conséquences de son choix sont incontestablement lourdes, mais comment ne pas admirer son cran ? Cet exemple rare de courage fait penser (à fronts renversés) à celui de son prédécesseur de gauche Gerhard Schröder. Ce dernier a perdu les élections en 2005 après avoir lancé, deux ans plus tôt, un plan de réformes qui a rendu l’Allemagne si forte aujourd’hui. Merkel, issue de la droite, a, elle, payé dans les urnes l’un des gestes les plus généreux des dernières décennies. De toute évidence, ces deux décisions n’ont pas été dictées par le calcul électoral… Mais sont-elles pour autant insensées ? Heribert Prantl, éditorialiste de la Süd
deutsche Zeitung a ainsi imaginé ce qui serait advenu si Merkel avait dit, lorsque les réfugiés étaient pour la plupart déjà sur les routes des Balkans, qu’elle ne pouvait accueillir toute la misère du monde et qu’il fallait fermer les frontières : grillages, gaz lacrymogènes et canons à eau auraient-ils vraiment résolu le problème ? De même, on pourrait s’interroger sur le souvenir qu’aurait laissé Schröder s’il n’avait pas sacrifié son destin personnel à l’avenir de son pays. Enfin, il n’est, à l’inverse, pas certain que la lâcheté suffise à gagner les coeurs et les suffrages. La France, elle, n’a ni osé les réformes ni pris sa part de l’accueil des réfugiés. Et elle a tout de même le Front national, plus haut encore que l’AfD…