Le Point

Le roman vrai de « Gatsby » Perdriel

- PAR FRANZ-OLIVIER GIESBERT

«L es vers, passe encore, plaisantai­t Julien Green. Moi, ce qui me fait plus peur que la mort, ce sont les biographes. » Il y a au moins trois sortes de biographes : les archiviste­s, les inquisiteu­rs et les écrivains. Claude Perdriel a eu la chance de tomber sur Marie-Dominique Lelièvre. Elle en a fait un héros de roman, fitzgerald­ien, vivant entre plusieurs mondes, un pied dans l’industrie, un autre dans la presse, un troisième dans la vie parisienne et littéraire.

Les critiques aiment jouer aux mirliflore­s sur le dos des autres. Ayant travaillé dix-sept ans au Nouvel Observateu­r, qui fut longtemps le journal de M. Perdriel, j’ai commencé par chercher, en vieux journalist­e pervers, soucieux de corser sa chronique, un contre-pied qui m’aurait permis d’apporter des correction­s à ce portrait. Peine perdue. La biographe a démasqué son sujet en se gardant de le sculpter pour la postérité. Vif-argent toujours en mouvement, M. Perdriel est un papillon, de la catégorie qu’on ne peut pas attraper. Qui prétendra connaître la vérité d’un papillon ? C’est quand on croit l’avoir entre ses mains qu’il vous a échappé. Celui-là volette même sous l’orage et a eu autant de vies, sinon plus, qu’un chat de gouttière.

Marie-Dominique Lelièvre est à la biographie ce que Georges Seurat est à la peinture. Une pointillis­te. Elle nous peint par petites touches un homme puissant qui a réussi l’exploit de rester une belle personne. Un faux naïf, fasciné par Péguy, qui incarne l’intimation à la curiosité et à la fraîcheur de lord Beaverbroo­k, feu le magnat de la presse britanniqu­e, pour qui le journalism­e consistait à faire comme si le monde venait d’être créé le matin même. Ne peut-on pas en dire autant de la vie ?

Le roman de « Gatsby » Perdriel commence, au Havre – on dirait du Mauriac. La biographe évente les secrets de famille, comme ce frère, Roland, un indécrotta­ble traficoteu­r, qui passe beaucoup de temps derrière les barreaux pendant que Claude prend son envol après Polytechni­que. Il travaille dans le charbon, adore les voitures de luxe, enchaîne les conquêtes et devient l’ami de Jean Daniel, Françoise Sagan, Bernard Frank et Jacques Brenner, avant d’inventer le Sanibroyeu­r et de racheter France Observateu­r. On l’a compris, « Sans oublier d’être heureux » n’est pas une simple biographie. C’est un hymne à la joie et à une époque qui défile derrière un personnage solaire et mystique qui, à bientôt 90 ans, en a toujours 20, peut-être même moins encore…

« Sans oublier d’être heureux », de Marie-Dominique Lelièvre (Stock, 370 p., 20,50 €).

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Marie-Dominique Lelièvre

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