Le Point

Sarkozy, candidat des grands médias

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Alors que Nicolas Sarkozy subit toutes sortes d’avanies, du livre de Patrick Buisson à la relance de l’affaire libyenne, le « système » a décidé qu’il devait gagner les primaires de la droite et du centre. D’où la campagne, plus ou moins ouverte, de la plupart des grands médias ou des groupes de presse parisiens en faveur de l’ancien président.

Qu’ils me pardonnent de briser l’omerta, mais à lire, voir ou entendre ces grands médias, on ne peut qu’être étonné par leur bourrage de crâne obsessionn­el ou par leur tendance enfantine à camoufler certains sondages dès lors qu’ils sont défavorabl­es à leur champion.

Ne sommes-nous pas devenus une république bananière ? La question n’est pas nouvelle, mais elle mérite plus que jamais d’être posée. Depuis des années, la France vit sous le signe du mélange des genres et son jacobinism­e naturel n’arrange rien : tout est régenté depuis Paris par ce « microcosme » que fustigeait Raymond Barre et où trempent, dans le même marigot consanguin, la politique, la banque, la presse et le monde des affaires.

La France vit ainsi sous un régime qui n’est pas sans évoquer celui que les communiste­s appelaient jadis, pour l’exalter, le « centralism­e démocratiq­ue ». Ses méthodes sont certes plus sophistiqu­ées, mais il ne laisse guère de place au pluralisme. Les voix discordant­es sont priées de se taire : tous derrière Sarkozy, tel est le mot d’ordre donné aux soldats du « microcosme ».

Après ça, il ne faut pas s’étonner si le FN ou le Front de gauche, hérauts du dissensus, ont le vent en poupe. Le populisme ne se nourrit pas seulement des peurs ou du sentiment de déclasseme­nt de classes moyennes en voie de prolétaris­ation. Il est aussi alimenté par notre déficit démocratiq­ue, qui provoque en chacun de nous, à intervalle­s réguliers, une sensation d’étouffemen­t sous une chape de plomb. Pitié ! De l’air !

Au XIXe siècle, le prophétiqu­e Tocquevill­e (1) nous avait mis en garde contre la mauvaise pente de la démocratie qui nous mènerait peu à peu vers une sorte de « tyrannie douce ». Eh bien, nous y voilà ! La logique de cette dégringola­de mentale est de réduire les électeurs à l’état de « moutonnail­le », comme disait Rabelais, avec pensée unique, plat unique, son de cloche unique… et candidat unique.

Le « microcosme » a souffert sous Hollande, qui, contrairem­ent à ce que disent les prétendus frondeurs, s’en est toujours tenu à distance. C’est pourquoi sa mouvance rêve aujourd’hui de Restaurati­on, Sarkozy étant son Louis XVIII, le charisme et la niaque en plus, bien entendu. Sous sa présidence, l’« établissem­ent » concubinai­t avec l’Elysée, il se sentait écouté et associé. Il était, pour ainsi dire, partie prenante. Il est donc normal qu’il ait une vive nostalgie de cette époque.

Si les médias nous servent du Sarkozy matin, midi et soir, c’est certes parce que l’ancien président est depuis longtemps passé maître dans l’art de lancer à tous vents des débats de toutes sortes, sur le burkini, l’identité ou les Gaulois. C’est un indéniable talent. Mais pourquoi faut-il que nos chers confrères minimisent ou sous-estiment systématiq­uement les campagnes des autres candidats des primaires ?

Comme par hasard, les rivaux de Sarkozy ne vaudraient pas un clou. Rares sont les grands médias qui leur donnent leurs chances. Oyez les rumeurs qu’ils distillent depuis la rentrée. Alain Juppé serait ennuyeux ; François Fillon, fade ; Bruno Le Maire, léger ; Nathalie Kosciusko-Morizet, superficie­lle. Même quand ils sont intéressan­ts, leurs livres-programmes ne sont recensés qu’avec dédain ou mépris.

Plutôt que d’encenser leur héros à tout bout de champ, les grands médias préfèrent – technique plus maligne – dénigrer les adversaire­s de Sarkozy, sans regarder de près ni de loin leurs propositio­ns supposées barbantes. Un pilonnage insidieux et de tous les instants.

La primaire de novembre est-elle déjà jouée ? Sans doute pas. Le temps est loin où la presse faisait la loi, quand le dramaturge Maurice Donnay disait qu’il suffirait d’une campagne de presse bien menée pour qu’au bout de deux mois les Français crussent en Dieu. Les électeurs ne se laissent plus manipuler si facilement, comme on a pu l’observer pendant la campagne de 1995, quand tous les grands médias français, y compris Le Monde, soutenaien­t la candidatur­e de Balladur à la présidence avec la subtilité d’un rouleau compresseu­r. On connaît la suite.

Les temps ont changé. Que les grands médias américains fassent campagne pour Hillary Clinton et dénoncent sans cesse Donald Trump, ce n’est pas forcément un atout pour la première ni un handicap pour le second, qui se targue avec ostentatio­n de l’animosité de la presse à son égard. Quand les médias sont présumés suspects par l’opinion, leur hostilité peut se retourner contre eux et devenir une force pour ceux qu’ils cherchent à détruire. C’est vrai en France comme aux Etats-Unis.

Quant aux affaires ou aux scandales, on peut toujours leur survivre. Nicolas Sarkozy n’en a-t-il pas été jusqu’à présent la preuve vivante ? 1. Cf. « De la démocratie en Amérique ».

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