Tabarly plutôt qu’Attali
Les candidats prennent des engagements ultraprécis. Louable, mais est-ce bien utile ?
Il
y a deux semaines, sur BFM TV, la journaliste Ruth Elkrief avait demandé à Jacques Attali quel candidat avait sa préférence pour l’élection présidentielle. Le toujours aussi fascinant économiste, chef d’orchestre, romancier, metteur en scène, banquier, éditorialiste… lui avait répondu que, pour faire son choix, il attendait de connaître les programmes détaillés et chiffrés des prétendants. Il avait rappelé au passage que lui-même, qui ne brigue pourtant pas – jusqu’à preuve du contraire – l’Elysée, avait rendu sa copie depuis plusieurs mois, un projet clés en main de 298 pages pour redresser la France en cent jours.
La publication du « contrat présidentiel » de Bruno Le Maire n’a donc pu que réjouir Jacques Attali. Du sérieux, et du lourd (1 012 pages). En vérité, ce n’est plus un programme, c’est une encyclopédie. Avec des cours de géographie pour rappeler que « la structuration du paysage français est constituée à ce jour de la manière suivante : les surfaces agricoles représentent 54 % du territoire métropolitain (35 % en sols cultivés et 17 % en surfaces en herbes – dont 98 % sont consacrés à l’élevage), la sylviculture représente quant à elle 24 %, l’habitat 6 %, les transports 3 % et les industries 2 %, les 11 % restants étant des friches, maquis, landes, sols nus ou encore des zones humides ». Le tout agrémenté de nombreux exercices de calcul, comme celui permettant d’établir le montant des économies qui pourraient être dégagées en réduisant le nombre d’audiences de conciliation aux prud’hommes. « En faisant l’hypothèse que l’audience de conciliation dure trente minutes en moyenne, sachant qu’environ 200 000 demandes sont introduites aux prud’hommes chaque année, en ne comptant pas le gain concernant la masse salariale, et en prenant une cible de 30 % pour le nombre de conciliations demandées, le gain s’élèverait à : (20 euros/2) 2 conseillers (100 - 30 % de 200 00 demandes) 120 000 = 2,8 M€. »
Ce souci de pédagogie, du détail et d’exhaustivité est bien sûr louable et change des catalogues de promesses vagues au coût indéterminé. L’inconvénient est que le citoyen a quand même un peu de mal à s’ y retrouver, à démêler l’essentiel de l’accessoire dans un programme-fleuve qui consacre presque autant de place au plan de protection contre les loups qu’à la réforme des 35 heures. Et les professeurs de français savent que les meilleures dissertations sont rarement les plus longues.
Cet affichage de rigueur est en tout cas révélateur de la perte de crédibilité de la « parole » des hommes politiques, qui se sentent à peu près tous dans l’obligation de recourir à l’écrit pour apporter la preuve de leurs capacités à diriger le pays. Comme un contre-effet retardé des envolées lyriques du Bourget, ce n’est plus en parlant qu’ils espèrent être écoutés et crus, c’est en publiant des livres (quatre pour Alain Juppé en moins d’un an, deux pour Nicolas Sarkozy).
Cela n’est toutefois pas sans présenter quelques dangers. D’abord parce que, faute d’une autorité indépendante pour le valider, tout chiffrage est sujet à caution, avec le risque de voir la campagne se résumer à des polémiques stériles entre experts et pseudo-experts sur le coût des programmes.
Il ne s’agit pas d’élire un chef d’Etat visionnaire, mais la personnalité la plus à même de remettre l’économie à flot.