Les travaillistes ont réélu le plus archaïque d’entre eux. Récit d’un naufrage.
Il fallait vraiment que les circonstances soient exceptionnelles pour que Jeremy Corbyn accepte de porter une cravate. Rouge, la cravate. Et pour que l’austère sexagénaire se permette d’ébaucher sur la scène du palais des congrès de Liverpool un sourire timide, signe chez lui d’une joie inextinguible. D’autres se seraient laissés aller à un triomphalisme outrancier, mais ce n’est pas le genre de la maison. Au terme de la conférence annuelle du Parti travailliste, qui s’est achevée le 28 septembre, la victoire de l’ancien backbencher (député de base) est pourtant totale. Porté comme par accident à la tête d’un Labour en crise il y a exactement un an, désavoué par l’écrasante majorité des députés de son camp, il vient d’être plébiscité par les militants et sympathisants du parti. Son score – près de 62 % – est supérieur à celui de septembre 2015 et garantit à celui que beaucoup tenaient pour un pape de transition une certaine longévité dans la fonction.
Les Britanniques vont donc devoir s’habituer au style Corbyn, fait de litotes administrées sur un ton monocorde et assorties d’un dress code à la Woody Allen. Ils vont aussi apprendre à composer durablement avec la ligne Corbyn, une opposition à gauche toute. Et donc un enterrement de première classe pour la tendance socialedémocrate portée au pouvoir par Tony Blair et Gordon Brown, funérailles assorties d’un long deuil pour tous ceux qui espéraient un retour rapide du Labour au pouvoir. Ces derniers jours, le décor était planté avant même d’accéder au centre de conférences, aménagé dans les anciens docks de Liverpool. Sous les oriflammes ornées de la rose travailliste, les tracts tendus aux congressistes donnaient une idée du chemin parcouru depuis l’époque du New Labour : ceux du Socialist Workers Party, d’obédience trotskiste, appelaient à des « grèves, occupations et manifestations monstres » ; ceux d’un groupe marxiste saluaient la victoire du « camarade Corbyn » .
De fait, la petite révolution en cours est bien à mettre à son crédit, ou débit, c’est selon. Et elle lui vaut, chez les tenants de cette gauche de la gauche, une quasivénération, plutôt inattendue à l’égard de quelqu’un qui ne cherche à se faire passer ni pour un orateur hors pair, ni pour un leader charismatique. On les appelle les « corbynistas ». Souvent jeunes, ils jouissent d’un bon niveau d’éducation mais éprouvent un sentiment de déclassement et n’ont rallié le Parti travailliste que depuis la défaite du blairisme. Charlene est de ces groupies, capables de jouer des coudes pour un selfie avec « Jez » : « Au-delà de son message de justice sociale, c’est l’homme qui me plaît. Il est fidèle à ses convictions, ne recourt pas à des spin doctors et chacun peut s’identifier à lui. » A 67 ans, Jeremy Corbyn reste tel qu’il était lorsque, en 1983, il est entré pour la première fois à la Chambre des communes en qualité de député d’Islington,