Au pays du puritanisme, les transgenres sortent de l’ombre, avec Obama en champion de la cause.
Le courriel est arrivé le lendemain de la Fête des pères : « Je souhaite me présenter à nouveau. Depuis dix-sept ans, j’ai le privilège d’exercer dans le domaine du droit de l’immigration. On ne peut pas faire ce boulot sans être émerveillé par la détermination de l’esprit humain à abandonner le confort et la sécurité du connu pour l’incertitude de l’avenir de la vie d’immigrant en Amérique. Cet esprit chez tant de mes clients a joué un rôle décisif pour m’aider à quitter à mon tour le confort et le familier, ôter l’armure protectrice de masculinité dont je m’étais entouré et admettre que j’étais un transgenre, prêt à entamer le voyage de la transition en femme. Ce processus m’a apporté une grande paix » , conclut Ava Benach.
Chez les 70 destinataires du courriel, c’est le choc. « J’ai cru à une blague », avoue l’un d’eux. Ava était connue comme Andres, un avocat de 43 ans installé à Washington, un grand gaillard de 1,90 mètre, marié, père de trois enfants, qui, à ses heures perdues, entraîne les gamins au base-ball. Elle (on adoptera le pronom du genre choisi) a pourtant toujours eu le sentiment de vivre dans le « mauvais corps ». « Je n’ai rien dit avant, je craignais de perdre ma famille, ma carrière, d’être ridiculisée. » Malgré une longue thérapie, elle a de plus en plus de mal à « enfouir » ce qu’elle ressent et décide finalement de « s’assumer pleinement ». Ses deux fils de 8 et 10 ans le prennent bien (le plus jeune trouve même l’idée franchement rigolote), sa fille de 12 ans un peu moins. Quant à Mona, sa femme, consciente de la situation depuis longtemps, elle est « terrorisée. Elle avait peur que nos enfants soient harcelés à l’école, que nos amis nous rejettent » . Un an plus tard, Ava, en pantalon rose et chemisier marine, est radieuse. « C’est une des meilleures années de ma vie. Je me sens comme Dorothy dans “Le magicien d’Oz”, qui vivait dans un univers en noir et blanc et découvre, en ouvrant la porte, un monde plein de couleurs. »
Ava n’est pas la seule. Encouragées par les victoires du mouvement gay, de plus en plus de personnes transgenres – qui ne s’identifient pas au sexe inscrit sur leur certificat de naissance – choisissent de sortir de l’ombre. Un jour, c’est un employé de la Maison-Blanche, le lendemain un juge du Texas ou le responsable de la santé publique en Pennsylvanie… Le magazine Time a lancé le mouvement il y a deux ans en mettant en une Laverne Cox, la Noire sculpturale de la série « Orange is the New Black », avec le titre : « Le tournant transgenre : la prochaine frontière des droits civiques en Amérique ». Dans la foulée, les Américains sidérés découvrent la métamorphose de Bruce Jenner en Caitlyn. Bruce est un héros national. Le 30 juillet 1976, aux JO de Montréal, ce géant tout en muscles décroche la médaille d’or au décathlon. Quarante ans plus tard, arborant une longue chevelure, il confesse dans une interview regardée par 20 millions de téléspectateurs qu’il s’est toujours senti « l’âme d’une femme » et que « Bruce vivait dans le mensonge » . Ava Benach n’a pas attendu Cox et Jenner pour « transitionner », mais leurs témoignages l’ont « aidée dans son cheminement ». « J’ai vu comment mon entourage réagissait avec empathie et gentillesse à l’histoire de Jenner. C’était rassurant. »
Depuis, les transgenres s’affichent partout, des tapis rouges deHollywoodauxpubspour