Psaume rouge
José Alvarez, né en 1947, est le fondateur des Editions du Regard, qui comptent à leur catalogue quelquesuns des plus beaux livres d’art de ces trente dernières années. Après « Anna la nuit », paru en 2009 chez Grasset, il publie son second roman. L’auteur a puisé dans ses souvenirs de famille pour tisser la trame d’une fiction qui, à travers le destin déchiré d’une femme, allégorise les malheurs de la guerre civile espagnole. Voici la quadragénaire Inès, mère de cinq enfants, épouse d’un insouciant officier de marine qui passe les années 1930 très au large des drames du continent. Esseulée mais pas résignée, la pasionaria lutte comme une lionne pour sauver sa progéniture au milieu d’un fracas écarlate : internée, sagefemme auprès de prisonnières du camp républicain, jouant des passe-droits qu’offrent la ruse et la séduction, cette belligérante a pour emblème la peau des siens.
Le livre détache son profil sur des arrière-fonds emportés, l’intime et l’Histoire se cannibalisant sans cesse au fil du récit. Les exécutions sommaires de communistes dans l’arène de Séville a l t e r nent a v e c l e s r i t ue l s lunaires d’aristocrates dans leurs palais hantés de mémoire. Les « Ménines » sont abritées à Valence, Picasso peint son « Guernica » à Paris, le Ritz de Madrid se voit transformé en hôpital de campagne. A travers les pérégrinations d’Inès, on entre dans les ténèbres d’une guerre des mauvaises causes : fascistes contre staliniens, nationalistes sanguinaires contre tueurs du Komintern.
A lire Alvarez, on mesure combien tout un continent, le nôtre, fut il y a quatre-vingts ans aspiré dans le vortex du suicide. De grandes voix s’élevèrent, mais les écrivains, suggère l’auteur, n’aiment-ils pas projeter leur gloire sur l’écran des massacres ? C’est un roman très sombre, renvoyant le lecteur au miroir d’un pays fracturé : une Espagne serpentine et bifide, rouge du sang séché dans l’ocre des torils
« Avec la mort en tenue de bataille », de José Alvarez (Albin Michel, 224 p., 17 €).