Le Point

Pensée pour l’Enfoiré

Trente ans après sa mort, une exposition rend hommage à Coluche. Qu’aurait-il dit de notre France crispée sur les « Gaulois » ?

- PAR MICHEL SCHNEIDER

Je n’aime pas les motards ni les clowns. Les uns me terrifient sur la route et les autres m’attendent dans les recoins de mon enfance, quand on m’emmenait au cirque voir le blanc sadiser le nez rouge. Le nez, Coluche en avait fait son hashtag. Il se l’était collé dès son premier one-man-show pour cacher les effets de l’alcool et de la coke, selon les mauvaises langues. Pour montrer, disent les bonnes, que tout spectacle n’est qu’une dérision de soi. Cruauté bien ordonnée commence par soi-même. Les motos, il les enfermait comme des captives au rez-de-chaussée de sa maison : Harley ou japonaises de toutes les couleurs. L’une d’elles l’a rattrapé au tournant. Comme dans « Tchao Pantin », la mort, à trop la charrier, elle ne rigole plus. Plus qu’une chanson, « Je veux rester dans le noir » était peutêtre sa devise.

Mais allez savoir pourquoi, Coluche, avec sa moto et son nez rouge, ses failles et son tragique, je l’aimais et continue de l’aimer trente ans après. La politique, Coluche ne la dénonçait pas ni ne l’analysait ; il la montrait comme la farce qu’elle est devenue, même pas un théâtre.

Je me souviens : quel malaise, quel trouble dans ma conscience politique, lorsque, en octobre 1980, il annonça son intention de se présenter à l’élection présidenti­elle avec pour slogan : « Avant moi, la France était coupée en deux. Maintenant, elle sera pliée en quatre. » On avait beau me dire que c’était une blague, quand les sondages le créditèren­t de 16 % d’intentions de vote et que Bourdieu, Deleuze ou Guattari – ce dernier disant : « La musique de Coluche est extrêmemen­t sophistiqu­ée quelque part… » – s’engagèrent sous la bannière de l’homme en salopette de mécanicien américain et brodequins jaunes, je passai de l’incrédulit­é à la colère. Non parce que je craignais qu’il ne compromett­e la victoire de Mitterrand et du Parti socialiste, qui le dissuadère­nt promptemen­t, secrètemen­t et efficaceme­nt de maintenir sa candidatur­e. Mais parce que je pensais – et pense encore – qu’il y avait un risque de dévalorisa­tion de la chose publique, ramenée à un spectacle. La politique était une chose trop sérieuse pour être confiée à un comique. Regardant maintenant nos narcisses en costard, mais sans cravate, faire campagne avec pour seul mot d’ordre « Otetoi de là que je m’y mette » – Coluche, plus direct, disait « I love moi » –, je me dis que je n’avais pas absolument tort. Il n’apparaît pas plus sérieux de confier la République à des politiques devenus les ventriloqu­es d’éléments de langage dictés par leurs communican­ts, ou les simples reflets de leur image. C’était le bon temps, celui où les présidents présidaien­t – bien ou mal, c’est une autre question – et ne se mettaient pas en scène pour commenter d’un bon mot les déroutes et les malheurs du pays. Je préfère voir un comique feignant de vouloir être président de la République qu’un président qui aurait voulu être un comique. Président, après l’avoir répété quinze fois dans son sketch d’entre deux tours, Hollande a fini par croire qu’il l’était devenu. Coluche, son anaphore à lui, c’était « Je me marre ». Une sorte de traduction en langage populaire du conseil de Pascal aux grands : « Il reconnaiss­ait son état véritable et que ce n’était que le hasard qui l’avait mis là où il était » (« Trois discours sur la condition des grands », 1660). Allons-y pour la nostalgie. Parler du passé, comment s’en empêcher quand le présent ne vous dit plus rien et que mieux vaut ne pas songer à l’avenir ? Il me manque, le formidable sociologue des nouveaux riches et des anciens pauvres, le psychologu­e aigu de l’inconscien­t des Français, le moraliste qui fait rire en pinçant fort là où ça fait mal. Il n’est plus là pour faire rire des primaires de la gauche et de la droite, qui aboutissen­t à une élection présidenti­elle à quatre tours et une campagne qui dure cinq ans. De la farce de la déchéance de nationalit­é

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