Le Point

Comment Daech a mis la main sur le djihad

Dans « Sous le drapeau noir », Joby Warrick, prix Pulitzer 2016, raconte l’« invention » de Daech par une poignée de djihadiste­s en rupture avec Al-Qaeda.

- PAR ROMAIN GUBERT

Ce que Joby Warrick raconte dans son livre pourrait être la trame d’un formidable roman. L’histoire d’un jeune terroriste prêt à tout pour se faire bien voir des plus anciens. Et qui, attentat après attentat, prend leur place. Cette guerre fratricide entre AlQaeda et Daech n’a pourtant rien d’un roman. Elle se joue quotidienn­ement à Alep, Raqqa et Mossoul et résonne jusqu’au coeur de Paris, Nice ou Saint-Etiennedu-Rouvray. Ce livre exceptionn­el raconte l’ascension d’Abou Moussab al-Zarqaoui, le fondateur de Daech, prêt à toutes les horreurs pour créer l’Etat islamique. Les extraits choisis par Le Point dévoilent ses échanges avec les responsabl­es d’Al-Qaeda. Ils montrent comment le « vieux » chef du djihad, Oussama ben Laden, refuse la stratégie de Zarqaoui, prêt à diviser le monde musulman, quitte à déposer des bombes dans des écoles d’enfants chiites ou à assassiner les membres de tribus sunnites collaboran­t avec les Américains. Jusque-là secrets, leurs « dialogues » nous plongent dans la hiérarchie du djihad internatio­nal [Milieu de l’année 2000. Zarqaoui vient de sortir de prison en Jordanie, NDLR]. Zarqaoui opta pour l’Afghanista­n. Avec deux compagnons, il se rendit à Kandahar et finit par arriver au quartier général du seul ancien Arabe afghan dont il pouvait espérer un bon accueil : Oussama ben Laden. Mais, au lieu d’être chaleureus­ement reçu par son vieux camarade moudjahid, Zarqaoui fut grossièrem­ent snobé. Le fondateur d’Al-Qaeda refusa même de le voir, envoyant à sa place un de ses lieutenant­s, à qui il avait confié la tâche de passer les Jordaniens au crible. La prudence dont faisait preuve Ben Laden à l’égard de n’importe quel visiteur était sans aucun doute parfaiteme­nt justifiée : après ses deux attentats meurtriers contre des ambassades américaine­s en Afrique l’année précédente, il s’était retrouvé sur la liste des personnali­tés les plus recherchée­s du FBI. Ben Laden avait surtout une bonne raison de se méfier de nouveaux arrivants liés à Abou Mohammed al-Maqdisi, l’ancien compagnon de cellule et mentor de Zarqaoui. Maqdisi avait en effet provoqué la colère des dirigeants de l’Arabie saoudite, pays natal de Ben Laden, en écrivant des ouvrages qui appelaient au renverseme­nt violent des régimes arabes apostats. Le chef d’Al-Qaeda était lui-même en délicatess­e avec le pouvoir saoudien, et se retrouver associé publiqueme­nt à Maqdisi ne ferait qu’empirer les choses. On laissa donc Zarqaoui se morfondre deux semaines durant dans une dépendance (…).

En janvier 2004, près de dix mois après son arrivée à Bagdad, Abou Moussab Al-Zarqaoui s’installa

 ??  ?? « Sous le drapeau noir », de Joby Warrick (Cherche Midi, 440 p., 21 €).
« Sous le drapeau noir », de Joby Warrick (Cherche Midi, 440 p., 21 €).
 ??  ?? Jusqu’au-boutiste. Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006.
Jusqu’au-boutiste. Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006.
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Défié. Oussama ben Laden, le 10 novembre 2001.

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