Là-bas, au paradis, à Biskra
L’Institut du monde arabe redonne vie à cette cité algérienne aux portes du désert.
C’est un fruit charnu à la chair translucide. On l’appelle deglet nour, « datte de lumière ». Elle est gorgée du soleil de Biskra, à 400 kilomètres au sud-est d’Alger, où on la cultive. Ce goût sucré serait-il le seul souvenir laissé par cette ville que l’on surnommait la « reine des Zibans » ? On en trouve encore la trace sur les étals des vendeurs de vieilles cartes postales. Images d’un temps où Biskra voyait affluer par le chemin de fer les touristes fortunés venus profiter de ses sources chaudes, exploitées depuis l’Empire romain, de son casino et de son jardin botanique créé par le comte Landon. Mais Biskra fut bien davantage que cette villégiature d’hiver pour Gatsby en saharienne. Une exposition à l’Institut du monde arabe restitue sa place dans l’histoire artistique. Son commissaire, Roger Benjamin, professeur d’histoire de l’art à l’université de Sydney, a conçu un parcours mêlant photographie et peinture qui donne à voir toutes les facettes de la ville.
L’atmosphère cosmopolite de Biskra, le calme mystérieux qui règne dans ses habitations mauresques et la douceur de sa palmeraie attirent les orientalistes. Eugène Fromentin est captivé par ces « jolies femmes, venues pour la plupart des tribus sahariennes Ouled-Nayl, A’r’azlia, etc., où les moeurs sont faciles, et dont les filles ont l’habitude d’aller chercher fortune dans les tribus environnantes. Les Orientaux ont des noms charmants pour déguiser l’industrie véritable de ce genre de femmes : faute de mieux, j’appellerai celles-ci des danseuses » .
L’écrivain André Gide sera saisi par d’autres genres de beautés. Biskra lui inspire « L’immoraliste ». Dans son journal, en 1896, il décrit une autre ville que celle des cartes postales : « Je ne sais où vont les touristes ; je pense que les guides attitrés leur préparent une Afrique de choix pour débarrasser des importuns les Arabes, amis du secret et de la tranquillité. » Autour de 1900, Biskra cristallise l’attention des artistes de l’avant-garde européenne. Matisse y peint son seul tableau réalisé en Algérie, « Une rue à Biskra » (1906). Le musicien hongrois Bela Bartok, qui y fait un voyage initiatique en 1913, se passionne pour la flûte algérienne.
« Que suis-je venu chercher (…) ? Qu’espérais-je y trouver ? Est-ce l’Arabe ? Est-ce l’homme ? » , se demandait Fromentin dans « Un été dans le Sahara » (1857). L’exposition prolonge l’interrogation de l’artiste. Un siècle et demi s’est écoulé depuis, charriant toute une histoire. Les sortilèges de Biskra agissent aujourd’hui comme des révélateurs de nous-mêmes
« Biskra, sortilèges d’une oasis ». Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 22 janvier 2017.