Le Point

La fête d’un livre

- Patrick Besson

Au numéro 38 de la rue des Bourdonnai­s (Paris 1er), L’Archipel fête son 25e anniversai­re. C’est un éditeur, pas un couturier : d’où les cacahouète­s et le mousseux. Je ne suis pas sur la liste des invités parce que je n’ai pas renvoyé le carton. Je n’écris jamais de lettres et encore moins des cartons. Le PDG, Jean-Daniel Belfond, est le fils de Pierre Belfond, qui fut un éditeur de best-sellers dans les années 1970 et 1980, ainsi que celui d’Anthony Burgess. En septembre 1985, j’avais rencontré chez lui l’écrivain yougoslave Miodrag Bulatovic. J’étais passé quelques jours plus tôt dans l’émission littéraire de Bernard Pivot « Apostrophe­s ». Belfond sort de son bureau en s’exclamant, non sans ironie : « Le héros du jour. » Bulatovic, rose d’une satisfacti­on erronée : « Moi ? » J’ai revu Miodrag en octobre 1990, au restaurant Francuska 7 de Belgrade. Il m’a dit qu’il avait vendu 300 000 exemplaire­s de son nouveau roman, « L’homme sans pouce ». Il est mort un an plus tard, sans savoir que son pays, la Yougoslavi­e, était sur le point de disparaîtr­e. A ma connaissan­ce, « L’homme sans pouce » n’a jamais paru en français. Il y a un homme sans pouce dans « Le patient anglais », le film d’Anthony Minghella, mais ça ne doit pas être le même.

Sous le porche de l’hôtel particulie­r de la rue des Bourdonnai­s, Jean-Daniel se fait prendre en photo avec Karl Zéro, Jean-Loup Chiflet, Muriel Beyer, Sylvie Le Bihan, Philippe Lacoche, Emmanuelle Boidron, Isabelle Coutant-Peyre, Jean-François Coulomb, Anne-Sophie Stefanini, moi, etc. Eric Neuhoff est arrivé avec son éditeur, Arnaud Le Guern : il publie chez Ecriture, un départemen­t de L’Archipel, « Deux ou trois leçons de snobisme » (18 €), un choix de ses chroniques du Figaro Magazine. Il m’a surpris quand il a demandé, au buffet, un verre de Diet Coke. Il n’y avait que du vrai Coca, dont Anne-Sophie, en noir et blanc comme le plateau d’un échiquier, m’a assuré qu’il ne serait plus en vente libre dans moins de dix ans, à cause de tout ce qu’il y a dedans.

Avec Arnaud, Eric, Anne-Sophie et Ava Cahen (l’auteur de l’un des meilleurs ouvrages sur Woody Allen parus en France : « Woody Allen, profession cynique », à L’Archipel, d’ailleurs), on avait fait un before à la terrasse du Carpe Diem, angle des Bourdonnai­s et de la rue des Halles. Avec Arnaud, Sylvie, Jean-François et Anne-Sophie, on a fait un after au Racines 2 (≈≈≈), rue de l’Arbre-Sec. Il y avait des Japonaises gaies et un jeune Belge à lunettes qui est entré dans le restaurant avec une valise Tumi noire. Cette poularde. Le vin rouge n’était pas rouge. J’avais l’impression qu’il pétillait un peu, comme un lambrusco éventé.

Les invités de Belfond étaient repartis avec « Deux ou trois leçons de snobisme », ayant chacun un exemplaire numéroté. La gourmandis­e de Neuhoff. Son amie Geneviève Dormann avait fait un livre sur celle d’Apollinair­e, mais Eric est moins gros. Son livre aussi. J’aime les écrivains qui écrivaient bien dans la presse : Blondin, Frank, Mauriac, Vailland, Barthes, Nimier, mais aussi Nerval, Mallarmé, Dostoïevsk­i. Eric a la plume légère et le coeur lourd ; ça fait un joli mélange sur le papier du journal. Il aura toujours envie d’un gâteau et d’une paire de chaussures. Pour lui, chaque ciel est un tableau, surtout quand il surplombeu­nmagasinde­chemises à New York. Neuhoff aime le tweed et le chocolat chaud, les jambes des femmes et les rires des hommes, à commencer par le sien. C’est un François Truffaut qui ne fait pas de cinéma, ça doit être pour ça qu’il n’est pas mort

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Eric Neuhoff

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