Le Point

Faut-il sonner les cloches à Philippe de Villiers ?

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Notre monde prétendume­nt libre vit sous la tyrannie d’une pensée molle qui a horreur d’être dérangée pendant sa digestion. C’est pourquoi la patrouille ne cesse d’interdire et de jeter des anathèmes. La grande vague du « politiquem­ent correct », née aux Etats-Unis dans les années 1960, a fini par atterrir longtemps après en France, où elle a tout formaté.

Même quand ils sont du meilleur plomb, les couvercles les plus vissés finissent par sauter. Jean-Marie Le Pen, un produit bien français, a finalement ouvert la voie à Donald Trump, histrion absurde, qui a tout fait exploser pendant cette campagne présidenti­elle américaine, les codes, les tabous et les limites de la décence. C’est l’effet boomerang.

En attendant, de ce côté-ci de l’Atlantique, notre Parti du Bien veille encore au grain, la main sur la crosse du revolver. Il y a des choses qu’il ne faut pas dire, des débats qu’il ne faut pas avoir, des livres qu’il ne faut ni lire ni discuter, surtout ceux qui répandent une forte odeur de soufre, dangereux pour la santé, comme l’édicte le principe de précaution.

« Les cloches sonneront-elles encore demain ? » (Albin Michel), le nouveau livre de Philippe de Villiers, fait partie de cette catégorie d’essais dont il vaut mieux ne pas parler si l’on ne veut être traité aussitôt de suppôt du Parti du Mal. C’est ainsi que s’envolent en tête des listes de best-sellers des ouvrages que les médias passent sous silence. Nouvelle preuve du décalage entre les « élites » et la France d’en bas.

Outrancier et talentueux, le livre de Villiers mérite qu’on s’y arrête, parce qu’il en dit long sur le mal-être de beaucoup de Français. Parce qu’il dit des vérités, au milieu de contre-vérités comme ce projet secret d’un « Eurislam » soi-disant encouragé par la France d’en haut. Parce qu’enfin, malgré les apparences, l’auteur n’a rien à voir avec les souveraini­stes grincheux, Maurras de poche et d’occasion qui prolifèren­t comme des vers de farine sur notre grande crise nationale-économique, sociale, identitair­e et métaphysiq­ue. Il y a chez lui quelque chose de sarcastiqu­e, même si, comme ses congénères, il tient un discours qui semble parfois sortir d’une secte apocalypti­que. L’envers de la doxa islamo-gauchiste qui continue de prospérer dans la presse bien-pensante.

Tout manichéen qu’il soit, Villiers n’a pas non plus le profil étriqué et sinistre de son engeance. Il a certes totalement raté sa carrière politique, mais il a fondé et développé l’un des plus incroyable­s parcs d’attraction­s du monde : le Puy du Fou, qui, au coeur de la Vendée, exalte et revisite l’histoire de France pour le bonheur des enfants. Une réussite impression­nante. Respect.

Son succès d’entreprene­ur n’a pas effacé les grandes peurs qui le tourmenten­t depuis des années. La peur du déclin français, du projet européen, de la mondialisa­tion galopante, de la fin des frontières, de l’affaisseme­nt de la chrétienté. Son nouveau best-seller évoque, sur le mode tocsin, l’islamisati­on de la France, « fille aînée de l’Eglise ».

Certes, Villiers, exagérateu­r profession­nel, en fait trop et sombre parfois dans le complotism­e, mais il n’a pas tout faux, loin de là. C’est notre insigne lâcheté qu’il faut mettre en question. C’est elle qui, avec l’aide de leurs idiots utiles, a permis aux islamistes de marquer tant de points, ces dernières années. L’auteur a raison de dénoncer les politicien­s de droite ou de gauche qui cèdent sur tout, quand ils ne subvention­nent pas les salafistes pour des raisons électorale­s, au grand dam de députés courageux comme les socialiste­s Malek Boutih ou Razzy Hammadi, auxquels il rend hommage.

Avec un beau final sur notre imaginaire, nos paysages ou nos chères cloches, célébrées par Villon ou par Péguy, l’opus de Villiers déborde de nostalgie, comme si la cause était entendue. Or, si notre roman national est enterré pour l’instant, rien ne l’empêche de ressuscite­r demain : l’Histoire n’est pas une ligne droite, cher Villiers. Pour que nous redevenion­s un jour heureux comme Dieu en France, il suffit de défendre nos valeurs tous ensemble, notamment avec les nombreux musulmans qui les partagent et qui n’en peuvent plus de la haine et de la bêtise islamistes : vous verrez, ça fera du monde !

P.-S. : Après la polémique Villiers, la polémique Lancelin. Coïncidenc­e éditoriale, paraît en même temps que le livre de Villiers, à l’autre bout du spectre, un autre pamphlet, d’une violence rare, sur les moeurs intellectu­elles de la gauche : « Le monde libre », d’Aude Lancelin (Les Liens qui libèrent). Nous ne partageons pas les idées de l’auteur, ses cibles sont souvent nos amis, nous n’en sommes que plus à l’aise pour saluer sa rage, son courage. Elle apporte la preuve qu’on peut être une antilibéra­le frénétique, aimer Nuit debout, adorer Podemos et avoir quand même du talent, et quel talent !

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