Le pouvoir, le miroir et la plume
Même Charlemagne possédait son scribe ! L’ecclésiastique Eghinard, après sa mort, fut l’auteur de la première biographie – sans doute embellie – du premier des Carolingiens. La tradition ne s’est pas perdue : tout pouvoir a sa plume, son mémorialiste. La Ve République n’y échappe pas. Charles de Gaulle se livrait à Jacques Foccart, à Alain Peyrefitte et écrivit lui-même ses Mémoires. Georges Pompidou fut interrompu par la mort. Sa veuve publia, en 1982, son livre inachevé, « Pour rétablir une vérité ». Valéry Giscard d’Estaing s’est raconté dans un épais ouvrage en trois tomes, « Le pouvoir et la vie ». Malheureusement, Michel Poniatowski, à qui il se confiait, n’a pas laissé d’écrits sur le pouvoir giscardien. On ne compte plus les biographes de François Mitterrand : dans le bureau d’à côté, Jacques Attali prenait ses « Verbatim » en notes. Pierre Favier et Michel Martin-Roland étaient reçus par Mitterrand pour décrire sa geste et Jean-Pierre Elkabbach enregistra, pour la télévision, ses derniers mots sur les époques troublées de sa vie. Pierre Péan leva un coin du voile sur Vichy. Franz-Olivier Giesbert recevait également depuis longtemps ses confidences, ainsi que celles de Jacques Chirac, qui a rédigé ses Mémoires en deux tomes.
satisfaisante. « C’est un besoin d’amitié, comme une psychanalyse », tente l’un d’eux. Mais une psychanalyse autodestructrice d’un genre inédit sous la Ve République ! Hollande, passionné par sa propre narration, finit par livrer ce qu’aucun président en exercice n’a jamais dit. Des secrets d’Etat, rien de moins. Il raconte avec une légèreté déconcertante son intervention auprès du Qatar pour que Canal + obtienne les droits du football, il confirme qu’il fait exécuter des djihadistes par les services secrets… Quand il ne laisse pas Davet et Lhomme assister à une conversation téléphonique avec le Premier ministre grec, Alexis Tsipras. « 7 mars 2015. Nous sommes dans le bureau de François Hollande. Le secrétariat particulier nous a fixé rendez-vous un samedi, pour une fois. Cela tombe bien, à l’heure de notre entrevue, le chef de l’Etat doit téléphoner au Premier ministre grec. En toute transparence. » S’ensuit l’intégralité du dialogue entre les deux hommes, du sauvetage de l’euro à la crise ukrainienne. Que fait François Hollande immédiatement après avoir raccroché ? Il « débriefe » (sic) avec les deux auteurs… On croit rêver.
« Il est suicidaire, ce n’est pas possible autrement. Ses amis ne le comprennent plus, témoigne un proche de l’un de ces ministres. Le Foll, Le Drian, Sapin, etc. Ils sont effondrés, effarés, fatigués, quelque part entre la stupéfaction et la lassitude. Ils se disent juste : qu’il nous laisse finir le quinquennat dignement. » Un député socialiste qui oeuvre à la candidature de François Hollande, rameutant en coulisses les soutiens, jurant à tout le monde que la défense du bilan ne sera pas mission impossible, soupire au bout du fil : « C’est ce qui s’appelle se tirer une balle dans Georges-Marc Benamou se glissa dans les habits du biographe non autorisé (et contesté) de deux présidents, Mitterrand et Sarkozy, à dix-huit ans d’écart. Finalement, François Hollande, en multipliant les confidences aux journalistes, n’a dérogé à la règle que par le timing : ses prédécesseurs s’assuraient que rien ne paraisse avant d’être descendus du trône. C’était une autre époque
le pied et, comme ce n’est pas la dernière, on va finir non seulement par manquer de balles, mais aussi par manquer de pied. Là, il a fait tous les orteils en une rafale. » François Hollande se défend comme il peut, arguant qu’il s’agit d’ « un exercice de transparence » : « Il fallait bien purger certains sujets. » C’est un peu court.
On a souvent dressé le portrait d’un homme commentateur de sa propre action, sans doute une manière chez lui de se détacher des événements pour en avoir une vision d’ensemble. Sans doute veut-il, puisqu’il nous l’a déjà confié, s’assurer qu’il laissera sa trace dans l’Histoire, puisse-t-elle un jour « réhabiliter » , c’est son mot, son action. On a aussi souvent perçu sa part de cynisme – le quinquennat est émaillé d’épisodes, de Florange à la déchéance de nationalité, qui prouvent que François Hollande sait composer avec les hommes comme avec les événements. Mais le voilà qui se dévoile autrement. Dur, cassant, ce qu’il ne laissait pas transparaître. Dans ce livre, François Hollande dresse un état des lieux exhaustif de tous les débats qui ont agité le pays ces quatre dernières années et lance même quelques polémiques qui n’avaient aucune raison d’être. La lâcheté des magistrats, ces footballeurs de l’équipe de France qui auraient besoin de « musculation du cerveau » , Najat Vallaud-Belkacem, « pas une intello parce qu’elle n’a pas fait l’Ena » , Claude Bartolone, qui n’aurait pas « l’envergure » d’être Premier ministre, la relance de l’affaire Jouyet-Fillon, Julie Gayet, à qui il refuserait le mariage malgré ses voeux, les frondeurs, « une foule idiote » , le PS, qu’il faudrait détruire pour le requalifier en « parti du progrès » , la remise en question du bilan économique des 35 heures chères à Martine Aubry, etc.
« Najat fait la tête, Aubry enrage, Bartolone lui en veut, même Jean-Marie Le Guen est blessé », constate aujourd’hui, navré, le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, lequel se risque tout de même à une analyse : « François Hollande est un homme seul, qui n’a jamais eu de courant au sein du PS. Il est individualiste dans sa manière de travailler, fier d’être énarque. Il aime les gens,
« François Hollande aime les gens, mais dans la certitude de sa supériorité. » J.-C. Cambadélis