Conesa : « L’Arabie saoudite est le géniteur idéologique de Daech »
Pour le chercheur, il est temps de lever les ambiguïtés françaises vis-à-vis du royaume wahhabite.
Le Point : Sommes-nous alignés sur la politique saoudienne au MoyenOrient ? Pierre Conesa :
La France et l’Arabie saoudite sont en effet d’accord sur beaucoup de sujets régionaux. En Syrie, les deux pays souhaitent le départ de Bachar elAssad. De même, Paris et Riyad se rejoignent sur leur fermeté à l’encontre de l’Iran. En raison de ses liens avec l’Arabie saoudite, la France frappe au contraire par son silence assourdissant sur le Yémen, où elle n’a condamné que très tardivement les bombardements des rebelles houthis, qui font de nombreuses victimes civiles. Il en fut de même pour Bahreïn : Paris s’est tu lorsque le royaume Al-Saoud a envoyé son armée pour réprimer la majorité chiite et sauver la dynastie sunnite des Al-Khalifa. En revanche, la différence essentielle entre la France et l’Arabie saoudite se situe au niveau de la lutte contre Daech, que ni Riyad ni aucun autre Etat arabe ne combattent réellement.
L’Arabie saoudite et le Qatar sont pourtant membres de la coalition internationale contre l’Etat islamique…
L’Arabie saoudite n’a engagé que 16 de ses avions de combat dans la coalition internationale contre l’Etat islamique, soit autant que les Pays-Bas et le Danemark réunis ! Puis elle les a tous retirés en mars 2015, lorsqu’elle a lancé 100 de ses avions dans sa guerre au Yémen, où elle a rassemblé avec elle une coalition de neuf autres pays arabes. Riyad ne participe donc pas aujourd’hui aux opérations contre Daech, alors que le régime est directement attaqué par son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, qui conteste la légitimité religieuse des Saoud à contrôler les Lieux saints. Plusieurs attentats ont ainsi déjà frappé le royaume. Le monstre créé par l’Arabie saoudite est en train de se retourner contre lui.
Affirmez-vous, comme Hillary Clinton l’a fait dans un courriel récemment révélé par WikiLeaks, que l’Arabie saoudite et le Qatar financent Daech ?
Le système saoudien est pluriel. Au-delà de la politique officielle du royaume, qui a financé le djihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980, une myriade de fondations, d’associations et d’ONG vibrionnent et financent des projets opaques. La Ligue islamique mondiale, créée par l’Arabie saoudite, a distribué beaucoup d’argent, parfois détourné par le passé pour financer le djihad. Des ONG humanitaires sont parfois le faux nez de groupes terroristes comme le Lashkar-eTaiba pakistanais qui a organisé les attentats de Bombay. Une chose est néanmoins sûre : l’Arabie saoudite est à l’origine de Daech sur le plan idéologique. Car elle a créé le wahhabisme, requalifié en salafisme par ses adeptes, une idéologie religieuse profondément sectaire, antisémite, raciste et misogyne, prétendant revenir au temps du Prophète.
N’existe-t-il pas une profonde différence entre le salafisme quiétiste saoudien et le djihad international ?
Dès la création du royaume, le djihad a été le moteur idéologique de l’identité saoudienne. Au nom de cette justification religieuse, les Saoud ont lancé la guerre contre les autres tribus arabes pour unifier la péninsule et créer leur dynastie, puis ils ont fait de même contre l’Empire ottoman. Dans les livres scolaires saoudiens, le djihad est décrit comme une geste héroïque et noble. Voilà pourquoi les Saoudiens ont toujours représenté le contingent étranger le plus nombreux au sein des talibans, des commandos du 11 Septembre (15 des 19 terroristes) ou de Daech. Le salafisme quiétiste n’est rien d’autre qu’une préparation psychologique à la violence.
L’Arabie saoudite n’est-elle pas un des rares régimes stables de la région ?
Le royaume est en réalité en danger, car il refuse de combattre Daech, dont les thèses trouvent un écho favorable au sein d’une partie de sa société. Et ce n’est pas un hasard. Aujourd’hui, les principes que l’Etat saoudien applique – la loi coranique et la haine des « mécréants » (les non-musulmans) – se rapprochent de ceux de Daech. Tous deux décapitent massivement en public et détestent les chiites. Ainsi, la société saoudienne ne comprendrait pas que le royaume affronte les djihadistes. Or, comme chaque fois que le régime des Saoud est en danger, il fait appel aux « mécréants » : les Occidentaux. Cela a déjà été le cas en 1979, lorsque des gendarmes français du GIGN ont libéré la Grande Mosquée d’étudiants islamistes radicaux ou, en 1991, lorsque les soldats américains ont contré l’invasion du Koweït par Saddam
« Le salafisme quiétiste n’est qu’une préparation psychologique à la violence. »