L’artiste face à son double
Jouer avec son image, devenir son propre sujet… A Essen, un nouveau parcours à travers la collection Pinault.
Dans son premier livre à succès, « Les enfants de minuit », l’écrivain Salman Rushdie raconte l’histoire d’un jeune médecin appelé chaque semaine au chevet d’une jeune femme qu’il doit ausculter à travers un drap troué laissant apparaître une seule petite partie de son corps, différente chaque semaine… Evidemment, l’homme finit par tomber éperdument amoureux de cette belle qu’il ne connaît que par morceaux. La collection d’art contemporain de François Pinault (propriétaire du Point) ressemble elle aussi à une belle mystérieuse. Car elle ne dévoile ses charmes que par bribes, chaque année à Venise, au gré des expositions de la pointe de la Douane ou du Palazzo Grassi, et ponctuellement dans des lieux divers avant que n’ouvre, à la fin de 2018, un espace dédié, en plein centre de Paris, au sein de la Bourse du commerce.
En attendant, c’est en Allemagne, à Essen, dans l’ancien bassin minier de la Ruhr, qu’il faut se rendre pour découvrir une nouvelle partie de la collection Pinault (78 oeuvres, dont 37 jamais montrées), exposée en dialogue avec la collection du musée Folkwang. L’établissement a été fondé par Karl Ernst Osthaus, collectionneur et industriel éclairé mort en 1921, qui, à l’aide de ses spectaculaires Gauguin, Van Gogh et autres expressionnistes allemands, voulait ouvrir les hommes à la beauté.
Martin Bethenod, par ailleurs directeur de la Fondation Pinault, a conçu une exposition thématique qui exclut sciemment la majorité des noms connus de la collection. Ni Koons ni Murakami… Mais Stingel, Gonzalez-Torres, Cindy Sherman et bien d’autres découvertes. Un exposé à la fois subtil et intellectuel sur la manière dont l’artiste utilise son image. « Il ne s’agit pas d’explorer la question du narcissisme. Ici, le corps de l’artiste et son visage sont de véritables instruments de son oeuvre », explique le commissaire de l’exposition.
Chemin de croix. Elle s’ouvre sur une pièce impressionnante de l’artiste italien Alighiero Boetti (1940-1994), réalisée peu de temps avant sa mort, due à un cancer du cerveau. Il se représente modelé dans le métal à taille réelle, armé d’un jet d’eau avec lequel il arrose indéfiniment sa tête. Ce geste provoque une émanation de vapeur, comme si elle était en surchauffe, élégante allégorie de sa fatale maladie. Dans un tout autre genre, le jeune artiste brésilien Paulo Nazareth (né en 1977) est un homme d’expériences.